printemps dominicain

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Puisque le nid n’a pu rejoindre l’oiseau, en mars l’oiseau s’est envolé jusqu’au nid. Ainsi, tandis que s’est alourdi encore un peu mon bilan karmabone, j’ai passé quatre longues semaines auprès d’Alex, dans le jardin dominicain, entre récolte de miel, naissances de poussins de combat et lutte contre une sécheresse pas vraiment de saison.

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Malgré la crise, quelques membres de mon ex-équipe ont bravé les garde-frontières pour me rendre visite, et de mon côté, je suis aussi allée à Tilory et à Vélot, où j’ai été accueillie à bras ouverts par « Mèt Sainvé » dont la solidarité locale et ligérienne (ainsi que l’on nomme les habitants du 42) a permis une belle reconstruction après l’incendie de sa maison.

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J’ai quitté Haïti comme j’étais venue, en taxi-moto, les bras chargés de moults présents : un coq, une pintade, un jeune bouc, un demi-quintal de maïs et des kilos de pois congo. Mon chargement et moi sommes rentrés plus ou moins sains et saufs, hormis mon jean, trempé de pisse du petit bouc apeuré, couché en travers de mes genoux, et le coq, qui n’a pas supporté le voyage, suspendu par les pattes au porte-bagage selon la tradition locale. L’équipe, qui s’est agrandie avec l’intégration d’un nouveau conseiller pédagogique, est contente, la mission bat son plein, pour la quatrième année consécutive. Tous disent voir une amélioration dans la zone pour tout ce qui a trait à l’éducation, surtout de la part des parents, et un nouveau chantier de construction attaque prochainement, portant à six je crois le nombre de bâtiments construits ou à construire, sur l’ensemble des trois zones du projet. Je suis d’autant plus heureuse qu’en tant qu’habitante de Restauraciòn, je fais toujours partie de la zone et me réjouit si celle-ci se développe. Point d’ombre de ma visite haïtienne, les kilomètres d’arbres incendiés le long de la « route internationale ». Les amis se lamentent des bêtises inconscientes des enfants ou conscientes de certains grands, et le bilan est lourd pour l’écosystème, déjà très affaibli par une sécheresse rare. En un mois, je n’ai pas vu tomber la moindre goutte de pluie. En Haïti on ne peut pas semer et les temps seront durs lorsque les derniers haricots auront été mangés. Côté dominicain, les paysans et les vachers sont ruinés : dans la campagne jaunie fleurissent les carcasses, des troupeaux entiers sont décimés par la faim. Le bilan continue de s’aggraver. Par deux fois la pluie est tombée en avril, et les haïtiens ont semé, mais la sécheresse continue à sévir, menaçant les semences. A Restauraciòn, les rivières sont à sec, du jamais vu foi d’Alex, et l’eau est distribuée dans les quartiers au compte-goutte, quelques heures dans la journée.

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Depuis mon retour, la pluie s’est arrêtée aussi à Antanarivo. On entre dans l’automne. Les journées restent chaudes sans être étouffantes, les nuits se rafraichissent peu à peu. On dit qu’en juillet, le thermomètre peut descendre jusqu’à 5 degrés au milieu de la nuit. Dans mon nid douillet, j’accumulerai les couettes, peu importe. Mais que va-t-il se passer pour les milliers de gens qui dorment dans la rue ? Combien de cartons vont-ils devoir accumuler pour lutter et trouver le sommeil ? Idée effrayante. Tous les matins, sur mon chemin, je croise deux petits bouts, en haillons sur le trottoir.

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Tous les matins, je me demande quoi faire. «Rien », me répond une collègue qui m’apprend qu’une étude a montré que si l’on trouve une solution pour les quatre mille enfants qui dorment dans la rue, il en viendra quatre mille nouveaux, poussés par l’exode rural, la famine ou le rêve d’un meilleur quotidien. Pas plus de quatre mille car après cela, c’est la guerre du trottoir, la lutte pour le territoire. Rien à faire donc, en attendant THE réponse politique aux problèmes économiques. Si cela arrivait, miracle tant espéré, ce sont sans doute les arrière-petit-enfants des petits bouts de ma rue qui en verrait le premier grain de riz… « Rien », me répondent encore les malgaches issus de familles aisées, qui m’apprennent que les parents envoient mendier leurs enfants car ils ne veulent pas travailler. Qu’ils préfèrent rester assis par terre à picoler, jouer aux cartes, mettre des tartes à leur femme et violer les gamines. Ils m’expliquent qu’il ne faut rien donner. Rien. Pas d’argent pour ne pas encourager la mendicité, pas de denrées pour ne pas se faire arnaquer après que les gamins aient joué à être empoisonnés. M’ouais. Peut-être bien qu’on leur a volé toute humanité, à « ces gens-là ». Et alors, est-ce que leurs enfants doivent payer et rester le cul par terre, affamés, toute la journée ? Certes, la piécette ou le sandwich ne peuvent rien pour dévier le sillon tracé tout droit dans la misère. Que faire ? Du plus profond d’un terrible sentiment d’impuissance, vers quel saint se tourner ?

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Saint Internet, bien sûr, fournit quelque filon de solutions, gouttes dans l’océan portées par des personnes magnifiques qui refusent de constater, résignés, leur impuissance à donner figure plus humaine à ce bout de continent. Certains construisent des projets de réinsertion, pour ramener les plus pauvres au retour à la terre. Jacques Tronchon, malgache vivant à Tana (bien que stéphanois d’origine, historien et auteur de l’un des rares bouquins que l’on trouve sur l’insurrection de 1947), envoie depuis trente ans vingt familles par an sur les bancs de l’école de la vie et de l’agriculture, avant de leur offrir une maison, une terre et des zébus. Il parait qu’aujourd’hui, certains sont même devenus riches. Il parait aussi que l’association peine à trouver vingt familles par an acceptant les conditions de cette reconversion.

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Pour les deux petits bouts de ma rue, je me suis tournée vers une association créée par une française venue en touriste il y a quelques années et repartie en militante. Avec l’aide de femmes malgaches, elle soutient une cinquantaine de familles vivant dans la rue, à condition qu’elles acceptent de scolariser les enfants, et de développer une petite activité rémunératrice pour réussir à s’offrir un toit. J’ai envoyé un mail à Brigitte, l’une des malgaches de l’association, pour qu’elle rende visite aux petits et tente de savoir s’ils ont des parents, et comment on pourrait les aider. Brigitte a vu les enfants, et rencontré les parents. Ceux-ci  passent leurs journées à picoler et jouer aux cartes en bas de la rue. Ils envoient les enfants mendier, et ne souhaitent rien changer. Cause perdue pour ces enfants donc, dont les parents ne voient pas plus loin que le bol de riz du midi, et que la flasque de mauvais rhum de la nuit. Mange ton impuissance. Reste là avec tes sandwichs inutiles. Mais tout n’est pas perdu pour avoir moins mal quand je marche dans ma rue. Il y a cette femme, devenue « ma copine », qui m’a interpelée avec son chapeau de cow-boy et sa gueule rieuse toute défoncée. C’est une marchande de fruits. Des pommes, des oranges, des petits fruits pas chers, qu’elle transporte dans deux grands paniers pendus en balancier sur son épaule. Je m’arrête chaque jour, même si parfois je n’achète rien, au moins pour prendre quelques nouvelles. Mon malgache est nul, mais ça fait rien, on se sourie, et on rit. Elle a un jeune fils qui l’accompagne parfois. Et depuis quelques temps, elle a aussi un sacré œil au beurre noir. Mais comme elle a perdu son chapeau, et avec, l’ombre sur ses yeux, je me demande si c’est  seulement une tâche que je n’aurais pas remarquée. En attendant de voir comment son œil évolue et de savoir comment je pourrais l’aider à développer un peu son activité, je mange plein de pommes jaunes, rouges, toutes tachées, et vous savez quoi ? Elles ont une saveur plus incroyable encore que celles des Bissardon, c’est vous dire si elles sont bonnes, les pommes de mon amie cow-boy !

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Le week-end je sors de la ville. Bol d’air salutaire. La campagne est magnifique. C’est le temps des moissons, on fait des ballots de riz. A l’ancienne, pour ne pas dire… à l’antique !

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Vous allez finir par penser que je ne fais que passer des vacances en RepDom, me balader dans les rues de Tana et à travers les rizières de l’Analamanga. Point du tout, je travaille aussi, beaucoup, et cela se passe fort bien… mais motus… Interdiction contractuelle d’évoquer le sujet. D’ailleurs, allez zou…. au boulot !

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au feu…

 

Hier Gilvert, mon ancien assistant et toujours ami, avec lequel je whats’appe presque quotidiennement -comme d’ailleurs avec les autres membres de mon équipe qui ont la chance d’avoir un smartphone-, m’a envoyé la photo de la maison en feu du professeur Sainvius, dans le petit village de Velot, en Haïti. Sainvius est le professeur qui avait permis au programme de prendre de l’ampleur dans la zone, grâce à un discours magnifique à la fin d’une session de formation, appelant chacun à prendre conscience de la chance que représentait le fait d’obtenir à domicile et gratuitement une formation, de qualité (grâce aux formateurs de Hinche, que je ne remercierai jamais assez), et engageant chacun à cesser de se plaindre de la quantité de poulet dans son assiette, mais plutôt à demander un jour de plus à chaque session… Dont acte ! Consacrer le sacro-saint jour du marché à un jour supplémentaire de formation fut emporté grâce à son discours enthousiaste et la qualité de la relation avec les gens de Velot se maintint au beau fixe.

Après la fin de mon contrat, j’ai continué à croiser Sainvius régulièrement. Toujours par hasard. A l’hôpital en bas de la rue, où sa femme a été hospitalisée pour une grossesse mal engagée. A l’atelier de réparation de moto, dans les épiceries du village, pour des obsèques ou tout simplement sur la route. En effet, bien que l’ONG qui m’employait alors n’ait pas voulu s’en rendre rendue compte, d’un côté et de l’autre de la petite ligne, piste ou rivière, symbolisant la frontière, nous habitons bel et bien un même bassin. De nombreux dominicains se rendent au marché (ou aux bordels) de Tilory, et de bien plus nombreux haïtiens viennent à Restauraciòn, rendre visite à la famille, travailler des terres, profiter des services de l’hôpital, se rendant parfois jusqu’à Dajabon ou Santiago, les gardes ne filtrant jamais une famille tassée sur une moto autour d’un malade, ou acheter ce qui manque pour leur maison. Sainvius était justement aux prises avec des garde-frontières à la sortie de Dajabon quand Alex l’a croisé hier, totalement paniqué. Il venait d’apprendre l’incendie de sa maison et cherchait le le moyen de rentrer chez lui. Alex et son ami l’ont raccompagné… « chez lui ». Un tas de cendres fumant, voilà tout ce qu’il lui reste de ce qu’a été sa vie jusqu’ici. Sainvius est un homme passionné d’études, il possédait de nombreux documents glanés ici et là, consciencieusement, et puis les diplômes de formation signés « du ministère » que nous lui fournissions après chaque session, sésames précieux pour un aléatoire meilleur,… Cela et bien plus encore, vêtements, nourriture, vaisselle, meubles, rudimentaire patiemment accumulé, tout est parti en fumée. Il ne reste plus rien. J’ai essayé de questionner Gilvert sur l’origine de l’incendie, mais n’ai pu obtenir de réponse. Qui s’en soucie ? Sans doute cherche-t-on là-bas quel péché a bien pu être commis pour mériter telle foudre divine, comme on le fait à chaque tremblement de terre ou catastrophe cyclonique. Le peuple n’est pas assez bon, le peuple mérite ce qui lui arrive…

J’ai beaucoup de peine pour Sainvius, sa femme, elle aussi professeur de maternelle, très engagée. Ils trouveront du réconfort et un peu d’aide auprès de leurs proches, dans le village, où ils sont appréciés. Mais tous sont si pauvres. Je sais que parfois certains d’entre nous ressentons l’envie d’aider quelqu’un personnellement plutôt que de donner à une grosse machine. Si le cœur vous en dit, je veux bien, comme je l’ai fait après le cyclone de 2015 à Madagascar, faire passer vos oboles qui permettraient petit à petit de reconstruire la base permettant  de ne pas tomber, de pouvoir se relever. Socialement, professionnellement, personnellement.

 

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Les riches au ciel, les pauvres par terre…

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Combien sommes-nous sur cette terre à détenir le privilège de créer nos propres vies. De marcher sur les chemins rêvés, projetés, fantasmés. Si je me retourne et regarde la seule année 2018, je me suis tour à tour rêvée apicultrice en république dominicaine, woofeuse au Mexique, missionnaire à Madagascar. Chacun de ces désirs s’est réalisé. Ce n’est pas que je rêve plus que la moyenne, non… Quoique… victime bien consentante de mon signe maya « terre rouge planétaire », j’ai c’est vrai les jambes qui fourmillent et une antenne bien personnelle qui de « hasards » en surprises, joue à me faire courir d’un coin à l’autre du monde. La véritable raison est que je détiens le trésor qui me permet de suivre mes pieds et mes envies : un bout de carton à la peau rouge, sur lequel figure mon nom, bien prononçable malgré des z et des y, ma figure avec mes « bons cheveux », naturellement lisses, ma peau blanche, plus blanche qu’omo, plus blanche qu’homo negritus en tous cas, qui lui, même s’il possède le même bout de carton, pour peu qu’il ait la peau verte ou bleue, n’aura pas le même sésame pour la Terre et les cieux. Le carton rouge qui ne mentionne même pas mes fesses plates, m’emmène où je veux quand je veux, répondant  à mes désirs au doigt et à l’œil –ce qui n’est là qu’une formule, mes rêves étant tout de même limités par le nombre de chiffres en sus ou en dessous du zéro de mon paquet d’euros.

Alex, lui, n’avait qu’un rêve en 2018. Le même qu’en 2019. Il voulait rejoindre sa dulcinée de l’autre côté de la terre. Mes petits, asseyez-vous bien, je vais vous conter son histoire…

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Dans les premiers jours de décembre, Alex boucla ses bagages et quitta son bout de terre à la frontière dominico-haïtienne. Au grand aéroport de la capitale, le quinze, à presque minuit, il fit mine de monter dans l’avion de la compagnie espagnole. Le billet qu’il tenait à la main assurait que celle-ci le conduirait jusqu’au vieux continent, d’où il s’envolerait par l’Ethiopie avant le grand saut par-delà l’Equateur, jusqu’à Antananarivo.  Alex avait à la main son bout de carton à peau bleue. Mais voilà. Alex avait aussi sa tête d’haïtien, la même qui l’oblige à exhiber la preuve de sa dominicanité à chaque rond-point militaire, et qui repoussait quand il était plus jeune les filles à peau laiteuse et plate tignasse.  En cette nuit électrisée, où la peur se mêlait à l’excitation, il se trouve malheureusement que cette magnifique tête noire n’eut pas l’heur de plaire aux sbires de la compagnie espagnole. Sortant de leur chapeau un règlement interne exigeant un VISA pour l’Espagne, qu’elle même pourtant ne requérait pourtant pas, ils lui interdirent l’accès au grand coucou blanc. Une humiliation cuisante, deux billets perdus, 3/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux,  0 pour les amants séparés.

Une semaine plus tard, ayant repris courage, Alex quitta à nouveau son coin de montagne pour déposer à la capitale sa demande de visa pour l’Espagne -laquelle, donc, ne l’exigeait pourtant pas, et ne disposait pas vraiment de document adéquat. Alex se plia alors à la complexe procédure de demande de visa schengen, un visa de tourisme d’une durée de six mois qui ne lui serait utile que le temps de patienter entre deux avions. Les règlements n’ayant jamais été inventés par des gens intelligents pour des gens intelligents, mais régissant pourtant la vie des braves gens, le dossier fut patiemment construit et docilement déposé, accompagné d’un billet de 120 euros, entre les mains pincées de petits fonctionnaires prisonniers de vieux murs construits par un Colomb qui, déjà, transforma le paradis en enfer il y a cinq cents ans.

Dans la tête d’Alex, les rêves refleurirent, timidement. Un mois passa, tout en attente et coupures de Skype. C’est alors que les petits fonctionnaires tranchèrent. Les documents produits ne leur paraissaient pas valables (fournis pourtant par ma très respectable ONG) et le petit salaire de professeur du ministère des sports ne les engageaient pas à penser à un retour sur l’île à l’expiration du visa, dirent-ils. Ainsi les petits fonctionnaires s’imaginaient-ils que leur vieille Europe avait de quoi faire rêver les Antilles ! Quelle misère ! Il est l’heure ici d’abandonner le mode de ce passé pas du tout simple, et de retomber sur le sol dur du présent… Ce que peut-être, quelques-uns appellent de leurs voeux, Alex ne le partage pas, n’en déplaise aux statistiques. Lui ne rêve pas d’Europe mais seulement de rejoindre sa moitié, et  de voyager à ses côtés. Les petits fonctionnaires ont dit non. Humiliation encore, argent perdu encore, rêve piétiné. 6/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux,  0 pour les amants séparés.

Quitter les Antilles pour rejoindre la Grande île impose un passage par le monde du tourisme de masse, l’Europe ou les USA. Aux Etats-Unis, les dominicains sont considérés parmi les pires des latinos par les autorités, refus assuré. En Europe, la loi stipule que pour transiter par un de ses aéroports, un dominicain doit détenir un visa s’il passe par la France ou la Belgique. Au vu du zèle des compagnies d’aviation, au vu du flou des lois (« si le dominicain ne passe pas plus de huit heures dans l’aéroport et s’il ne passe pas d’un terminal à l’autre, il n’a pas besoin de visa, si, si, si ») des autres pays, nous avons alors imaginé qu’Alex passe par la France, qui elle au moins, la joue franc-jeu  et dispose de tout l’arsenal paperassier. C’est là que nous fut porté le coup fatal. Voyez à quel point, quand il vous met dans ses rouages, le jeu mesquin des règlementations peut vous les briser menues avant de vous briser tout court : Pour demander un visa de transit aéroportuaire à la France, il faut produire entre autre et de manière obligatoire le visa du pays de la destination finale, Madagascar en l’occurrence. Or, Madagascar ne délivre, pour les pays qui ne possèdent pas de représentation consulaire comme c’est le cas de la République dominicaine, son visa qu’à l’arrivée à l’aéroport. Un rouage qui se mord la queue, un rêve ébréché, deux amants toujours séparés. 9/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux.

Encore un point et au jeu des rêves brisés, Alex aura définitivement perdu la partie. Ce dernier point se joue dans l’hémisphère sud. Brésil, Afrique du Sud, accepterez-vous de laisser quelques heures poser sur le vénéré sol de vos aéroports un grand noir aux rêves purs ? Saurez-vous vous remémorer ces temps pas si anciens, Alexandra David-Néel n’avait pas dix-sept ans, où l’on n’avait pas encore créé ces lignes imaginaires aujourd’hui millions de fois criminelles en termes de vies et de rêves brisés, et où le ciel était encore l’apanage des rêves ? Vas-y, Nounours, si tu m’entends, déboule avec  ton nuage blanc !! Balance du sable dans leurs sales rouages technocratiques, laisse grimper à ton bord les rêveurs du monde entier, les riches, les pauvres, les noirs, les blancs, et même ceux qui ont des cheveux rotolos, et faisez des pluies de confettis avec leurs bouts de cartons multicolores, leurs zyvas et passe-porcs !!! YA BASTA !!!

 

 

LA MAISON DANS LE CIEL DE LA VILLE DES MILLE

Pari tenu. Un an jour pour jour aura duré mon année sabbatique.

La mi-novembre 2017 m’a vue rendre mon tablier à Paris, les valises en pelote et les nerfs en bas des joues…

…Une mesure de bachata, un élevage de coqs de combat, un mois de woof au Mexique et des centaines de pots de miel de abeja plus tard, me voici revenue au turbin, dans  la ville des mille. D’aucuns se souviendront peut-être, d’autres découvriront, que le nom de la capitale malgache, Antananarivo, ramène aux mille soldats, ceux des amoures et des guerres qui fondèrent son histoire il y a fort fort longtemps. Je l’avais quittée, dévastée par un cyclone, au printemps 2015, et c’est avec l’ONG lyonnaise Handicap International (désormais Humanité &Inclusion) que j’y reviens. Pendant six mois, je vais me pencher sur la formation des professeurs en éducation inclusive. J’ai intégré ici une belle équipe, formée d’une trentaine de personnes, aux trois quarts féminine et presqu’exclusivement malgache. Douce ambiance des bureaux de capitale, où les gens sont cultivés et bien éduqués, où les filles sont douces et rigolotes et les gars timides, où tout le monde parle un français impeccable, et où les vazahas (ici on dit juste « les expats ») répondent, après que je leur aie proposé d’aller en acheter au coin de la rue : « c’est quoi, des mofo gasy ? »… (hem hem émoticône qui lève les yeux au ciel !)

Pour ceux qui découvrent, ou ceux qui ne s’en souviennent plus, le mofo gasy, c’est littéralement le «pain malgache». Légèrement sucré, à base de riz trempé toute la nuit dans un seau puis moulé et frit au petit matin, on le prononce « mouf gach » et on le mange sans faim.

Un passeport récupéré in extremis (pour cause de gilets jaunes) sur le quai d’embarquement de l’aéroport et un saut de puce, dix heures à peine, m’ont propulsée lundi dernier de l’automne, bien doux il est vrai, stéphano-lyonnais, à l’été malgache. Il est prévu qu’Alex, mon compagnon de vie, me rejoigne depuis Restauraciòn. Mais passer des Caraïbes à l’autre bout de l’Afrique n’est pas une mince affaire ! La France filtre et rackette tous ceux qui passent par son territoire et ne peuvent chanter cocorico, et ce jusque sur le tarmac ! Passer d’un terminal à l’autre au sein du même aéroport, l’affaire d’une vingtaine de minutes pour une hôtesse de l’air au galop, est juste impossible pour Alex le dominicain. A lui, la France impose  de récupérer tous ses bagages, de passer par tous les postes de police, et de présenter un visa (oui oui oui, un visa pour passer d’un avion à l’autre au sein du même aéroport !). Et obtenir un visa, c’est long, très long… Alors avec l’ONG, on se décarcasse pour trouver des solutions. Peut-être qu’en passant par Madrid… il semble que les espagnols soient moins Ladrones que les français, et qu’il soit possible chez eux de passer d’un terminal à l’autre sans montrer pata blanca. De Madrid, un saut par Addis Abeba, et là, enfin, tout au bout, la fin d’un long voyage de près de cinquante heures… Pas encore gagné, aventure à suivre. Alex n’a pris l’avion qu’une seule fois dans sa vie, pour aller combattre sur leur terrain les cubains  lorsqu’il jouait dans l’équipe nationale de handball. Trois quart d’heure de vol, en groupe, VIP de surcroît… Pas la même histoire ! La pression monte….

Tana est une ville haut perchée, ses collines chatouillent les aiguilles de l’altimètre à près de mille deux cents. Et moi… j’y ai une maison dans le ciel. Au bas d’une ruelle, dans un quartier sympa de la ville, il y a un immeuble blanc. Posée tout en haut de l’immeuble blanc, il y a une maison aquarium, une maison véranda, une maison de verre, accrochée dans le ciel. Le vent la traverse, me traverse, j’habite  le ciel, j’habite dans le ciel. Depuis la terrasse, je vois les montagnes à l’horizon, comme je les voyais depuis mon jardin dominicain. Là-bas, entre les montagnes et moi, il y avait le champ de courges et de maïs planté avec les amis –anciens collègues- haïtiens, et puis les deux lignes de ruches ; plus loin le poulailler, le potager, et la balançoire accrochée au vieil avocatier ; les bananiers, et des nuances à l’infini de verts pré. Ici, entre les montagnes et moi, il y a, à perte de vue et à près de trois cent soixante degrés, des milliers de maisons, des millions de personnes, une immense mosaïque de toits multicolores, des clochers et des mosquées, des ruelles, des passants, la douce rumeur d’une ville juste là, sous mes pieds. La capitale s’étend comme un océan et le ciel est immensité, voûte bleue (sale il est vrai) le matin avec sa demi-lune pâle accrochée, blanche l’après-midi, sans étoiles, sombre, la nuit. Je n’aurais jamais le temps d’en faire l’inventaire et de porter mon regard sur chacun de ces points de lumière, pixels de vie, même si j’en fais déjà mon affaire, accrochée à la barrière, en avalant des kilos de litchis juteux, de pêches ou d’abricots, au retour du bureau. Alors je mets la musique, fort, très fort, et puis je danse. Sur la terrasse de la maison dans le ciel, je convie ceux que j’aime à danser avec moi… J’invite Manon à chanter à tue-tête au-dessus de la rumeur de la ville, de sa voix belle et puissante, j’invite Elie à se plonger dans le mouvement des passants et passantes et à philosopher sur notre condition d’humains fourmis, j’invite tous les miens à s’envoler hors du nid, j’invite Nathashtanga et son tapis volant, j’invite Laetititia (et oui, comme Tanananananarive) dont je vois le camion rouge garé là, juste en bas, j’invite Denis pour une autre tranche de « mora mora », j’invite Flavie à jeter dans la marmite tous ses grains de riz de folie, j’invite Yohan à chatouiller les pieds des esprits de l’est, je t’invite, toi, et puis toi et puis toi…Dans la maison accrochée au ciel, on danse sur la terrasse et on dort… dans la chambre d’ami-e-s !!

 

 

 

CACA D’ECREVISSES

Yeepee j’ai la wifi… C’est vraiment l’occasion de mater n’importe quoi… Comme par exemple… tiens pourquoi pas, les stats du blog ?! 21 772 vues.. Wouh !! Merci les amis. Des visites tous les jours, parfois deux ou trois, parfois cent quarante-quatre comme, allez savoir pourquoi, le 9 février de cette année… Apparemment, pas mal de gens tombent sur le blog en faisant une recherche internet.. 7 147 au total… !! Je n’ai bien sûr pas tout lu, mais voici quelques recherches qui m’ont tapé dans l’œil… Dans le désordre : Lemurien qui bande, Mon cousin a avalé de la javel, Pêche tape-cul, L’éléphant est-il sacré pour les malgaches ? Pierre Rochigneux, Verrue trou pied, Contact putains Fianarantsoa, Vendeur de vibromasseur à Tana, Manoucheka ange, Pour 100 sacs t’as plus rien, Caca d’écrevisses, etc… etc…  Allez savoir pourquoi tout ça mène à l’un de mes articles….

Bon.. c’est le retour de vacances, et l’heure de trier les photos. J’ai croisé ce drôle d’oiseau sur un petit bout de terre accroché entre ciel et mer (des Caraïbes), dans une forêt de noni et de noix de coco, un jour de ballade à vélo, à Las Galleras, tout au bout de la péninsule de Samana.

C’est sans doute l’un des plus beaux endroits de la République Dominicaine, et peut-être même du monde, en tous cas pour le peu que j’en connais.

Cet autre jour de ballade, à pied cette fois-ci, pour découvrir des plages cachées et inaccessibles, nous avons rencontré une petite tortue, qui semblait n’avoir pas plus d’un jour. Elle nageait seule, première de sa portée ou rescapée ? La tortue n’est pas loquace comme chacun n’est pas sans l’ignorer, et mon fantasme de voir éclore toute une portée reste entier…

Gros temps ce matin-là, les pêcheurs n’étaient pas au rendez-vous sur la plage pour nous offrir leur poisson grillé. C’est mère Nature qui nous a nourris, nous offrant eau de coco, papaye et jus de canne, au fil du chemin.

Autre ballade, en bateau cette fois-ci, pour rejoindre les Haïtises, immense presqu’île couverte de mangrove, et regorgeant de grottes où se cachèrent les tainos lors de l’invasion espagnole. Les petits dessins naïfs qui recouvrent les parois des cavernes, comme celle de l’œil du dauphin, sont loin de refléter l’immense richesse de l’art taïno, et laissent une bien piètre image aux touristes… Dommage que la Rep Dom ne possède pas de musée d’art taïno…

 

La région est parsemée de minuscules îles, que l’on appelle ici des « cayo ». Cayo Levanto est l’une des plus prisées.

Un coin superbe, je vous dis ! Amis, famille, visiteurs inconnus, venez passer des vacances en Rep Dom, et oubliez Punta Cana, filez droit sur la péninsule de Samana !!

En attendant, moi… je file au boulot !

 

 

 

PLUMES D’ANE

Après le marathon des réunions de bilan et entre deux semaines de formation, afin de faire un peu le point et passer du bon temps, bien mérité, tous ensemble, l’équipe et moi-même nous sommes enfournés mi- juillet dans le wagon pour un voyage de quelques jours aux sources de la république haïtienne…

Direction le Cap Haïtien, au nord de l’île, pas très loin de la frontière dominicaine. A première vue, la ville, en tous cas dans sa partie basse longeant le port, ressemble fort à Santiago de Cuba, à ceci près qu’ici le gouvernement défaille en tout, laissant la ville à l’abandon de ses mauvaises routes, de ses maisons délabrées et de ses tas d’immondices.

Nous dormons dans un petit institut polytechnique à Vertières, à la sortie du Cap, dont deux salles de classes sont pour l’occasion transformées en dortoir. C’est tout près d’ici, à six kilomètres, que l’histoire a commencé. A « Bois Caïman », quelques mois après la révolution française de 17989, Bouckman le Jamaïcain rassembla par une nuit d’orage les esclaves de la Plaine du Nord pour leur parler de « quelque chose qui s’était passé en France. : Des messieurs très influents avaient déclaré qu’il fallait libérer les nègres, mais les riches propriétaires du Cap, tous fils de putes royalistes, refusaient d’obéir ». La région s’enflamma et l’on tua et viola à tour de bras. La rébellion pour l’égalité des droits entre noirs et blancs, esclaves et propriétaires, riches et pauvres fut sanglante, mais courte.

Bientôt, sur le parvis de la Cathédrale du Cap Haïtien, à l’endroit même où quelques années plus tôt on avait passé au bucher le nègre marron Mackandal, fomenteur de révolte, la tête de Bouckman « était la proie des vers, verdâtre et la bouche ouverte ». Par un de ces hasards que j’affectionne, j’ai jeté dans ma valise le livre d’Alejo Carpentier, « le royaume de ce monde », qui conte précisément l’histoire des lieux que nous foulons deux cents plus tard, et dont je tire ici quelques extraits. Au lendemain de la révolte, Ti Noël, esclave et figure majeure du bouquin, s’enfuit avec le maitre français pour Santiago de Cuba, où se retrouvent de nombreux colons exilés qui y fonderont un quartier français sur le modèle de celui du Cap. Après la mort de son maitre, dans la déchéance comme il se doit, Ti Noël retourne en Haïti, et fait à pied depuis Port au Prince le chemin que nous avons suivi jusqu’à la plaine du Nord. De retour chez lui, à Milot, il s’arrête, « émerveillé par le spectacle le plus inattendu, le plus imposant qu’il eut contemplé dans sa longue vie. Sur un fond de montagnes striées de violet par des gorges profondes, s’élevait un palais rose, un alcazar aux fenêtres arquées, rendu presque aérien par le socle élevé que lui faisait un perron de pierre ».

C’est le « palais sans souci », résidence du roi Henri Christophe, qui avant d’être monarque fut le cuisinier le plus fameux du Cap, à la table duquel se bousculaient les colons français et espagnols.

« Près d’un buste de Pauline Bonaparte, qui avait orné jadis sa maison du cap, les jeunes princesses Athénaïs et Améthyste jouaient au volant ». Ti Noël, désormais vieux et libre, se retrouve en un tournemain avec une pesante brique entre les mains qu’il lui faut, sous une volée de coups, grimper jusqu’au sommet du Bonnet-de-l’évèque, rude grimpette de sept kilomètres (que les moins courageux d’entre nous ont gravi en moto) jusqu’à cette « montagne sur la montagne »qu’est la citadelle « La Ferrière ».

« Dans cette masse de briques brûlées, tellement élevée au-dessus des nuages que les perspectives défiaient les habitudes du regard, étaient creusés des tunnels, des couloirs, des chemins secrets et des cheminées remplis d’épaisses ténèbres. (…) Au milieu de la place d’armes, on égorgeait tous les jours plusieurs taureaux afin de pétrir avec leur sang un mortier qui rendrait la forteresse invulnérable. (…) Des centaines d’hommes travaillaient dans les entrailles de cette immense construction, sans cesse épiés par le fouet ou le fusil. (…) Souvent un nègre disparaissait dans le vide, entrainant une auge pleine de mortier, immédiatement remplacé et oublié. (..) Sur tous les flancs de la montagne, par tous les sentiers et chemins de traverse montaient des files compactes de femmes, d’enfants, de vieillards. Ils portaient toujours la même brique pour la déposer au pied de la forteresse. Ti Noël apprit que cela durait depuis plus de douze ans et que toute la population de la plaine du nord avait été mobilisée par force afin de travailler à cette œuvre invraisemblable ».

Avant la fin des travaux, la malédiction s’abattit pourtant sur ce roi mal aimé. Celui-ci retrouva dans l’église de Limonade un esprit mal intentionné qui le foudroya, le laissant gisant sur le carreau, paralytique. Recouvrant au bout de quelques semaines un peu de ses moyens conscient de la grande faiblesse de sa position, le roi décida de se donner la mort, dans sa chambre, celle-ci même où nous écoutons son histoire, au cœur des ruines du palais lui-même foudroyé par le tremblement de terre des années 40. Les canons de la Ferrière n’auront finalement jamais servi. Et, de l’Esclavage aux travaux forcés, des enfants-esclaves et de la vie misérable à la dépendance à l’aide internationale… jamais le pays n’aura au final vraiment réglé son compte au joug et laissé tomber ses chaines. Pauvre Haïti chérie.

L’équipe voulait voir la mer, elle voulait aller à Labadie. Après quelques recherches sur internet, j’ai découvert que cette belle côte d’Haïti, perle des Caraïbes, est propriété exclusive d’un croisiériste américain, et qu’à l’exception des quelques deux cents jeunes et beaux haïtiens qui y travaillent, le lieu est interdit aux autochtones !!- De même d’ailleurs qu’il est interdit aux touristes de s’aventurer à l’extérieur de la baie, des fois qu’il resterait quelques velléités de cannibalisme chez les sauvages de l’autre côté… sic ! Par conséquent, j’ai fait tirer tout droit à l’opposé, et sur la belle plage sauvage de camp Louise, blindée de NOIRS avec un seul poisson rose au milieu, les trois quarts de l’équipe ont plongé pour la première fois de leur existence leur tête ravie dans l’écume folle de la grande étendue bleue…

Ce petit voyage a donc été l’occasion de se cultiver, beaucoup, de se chipoter, un peu (les haïtiens sont quand même bien souvent des têtes fortes avec une sacrée bonne dose d’orgueil, et ça se frite dur sur les petits détails du quotidien), et de travailler, pas mal, sur le projet. Les « anciens », qui sont là depuis le début de l’aventure d’Interaide à Lamyel, sont très investis, et se différencient des « nouveaux » qui ont rejoint l’équipe cette année en cela que ces derniers ont un peu plus tendance à entrevoir leur mission comme un « job » -mal payé de surcroît. Les nombreux échanges et ateliers nous ont permis de dresser un bilan « empirique » des deux années de présence du programme dans la zone, de souder l’équipe autour du projet et de sa philosophie, et de travailler sur les perspectives de l’année à venir. Je n’ai pas encore annoncé à l’équipe mon départ prévu pour octobre. Mon assistant est au courant, et c’est sur son conseil que je n’ai informé ni l’équipe ni les écoles, afin de ne pas provoquer de stress ou de désengagement. Les activités seront d’abord lancées normalement en septembre, et dès lors que j’aurai un calendrier précis de départ, j’avertirai l’équipe et les partenaires.

La première construction s’est achevée la semaine dernière et le bâtiment a été officiellement remis au directeur. Je suis contente d’être arrivée au bout de ce premier chantier, qui a été une somme, voire un produit une division une soustraction, de toutes les difficultés possibles. L’essentiel est que le 4 septembre prochain, les quelques deux cents élèves de l’école Cœurs Unis de Lamyèl quitteront leur bout de cabane pourri pour un bâtiment tout neuf. Je ne lancerai pas d’autres constructions, mais ça devrait rouler beaucoup mieux pour la suite, maintenant qu’on a essuyé pas mal de plâtres et levé pas mal de voiles, notamment celui du mythe de l’école communautaire, quand en réalité la quasi-totalité des écoles relève de l’entreprise privée…

 

En octobre donc, je quitterai Lamyèl et Interaide après deux ans et demi de mission. J’avais initialement prévu de rentrer en France en janvier 2018 pour faire un peu l’instit, l’inspection académique m’ayant même trouvé un poste dans une classe de petite section de maternelle. Mais voilà dix ans que je n’ai pas mis les pieds dans une école en tant qu’enseignante et la perspective de moucher des nez de 8h20 à 11h40 et de remettre le couvert l’après-midi m’a soudain paru d’un ennui total. Bon Ok, c’est pas la vraie raison, j’adore les marmots même si je déteste les horaires fixes, les parents chiants et les lourdeurs administratives. Je dirais bien aussi que c’est la faute de Manon et Elie, ma cigale et ma fourmi, que je pensais retrouver à Sinté, et qui en l’espace de deux mois ont quitté la ville pour aller s’installer dans la bourgeoise d’à côté… Mais là encore, ce serait mentir… Je ne vais pas rentrer en France comme initialement prévu parce que… ici, à Restauraciòn, j’ai trouvé mon bonheur. Dans une maison jaune du quartier bleu du village, il y a un jardin avec des bananiers, des manguiers, des avocatiers et des petits plants de morenga.. il y a une nouvelle Koolna avec qui faire des promenades dans les rivières, au cœur d’une nature exubérante et généreuse…

 

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…et puis il y a l’autre moitié de mon âme. Il y a Alex.

Notez que j’ai la ferme intention que pendant un bon moment, au creux de mon existence, il ne se traite rien de plus sérieux que de plumes d’âne…

Deux ans en Haïti..

Cela fait maintenant vingt-cinq mois que je suis en Haïti. J’ai fêté mon deuxième anniversaire en France, pour une course poursuite d’une quinzaine de jours entre médecins, famille et amis, avec pour ligne d’arrivée les bureaux d’interaide, à un jet de saké de la cabane de Louis quatorze.

J’ai d’abord trouvé tout le monde trop blanc et trop maigre et cherché partout des yeux les frères et sœurs noirs, et puis j’ai fini par me réhabituer. Ravie de revoir mon petit monde, j’ai été contente aussi de resauter dans l’avion pour retrouver mon cher caillou.. ce qui n’a pas été aussi simple que prévu ! Infarctus d’un passager, changement de trajectoire, arrêt inopiné sur une île des Açores, qui depuis mon hublot m’a paru ressembler comme deux gouttes d’eau à la Normandie, temps frais et pluvieux, vaches marron aux tâches blanches, toits orangés de tuiles pentus, scenic et kangoo dans les ruelles. Portugaise et pas du tout polyglotte, l’île nous a fait un accueil militaire. Le rescapé de l’attaque cardiaque descendu sous bonne cohorte, nous avons dû nous aussi quitter l’avion et patienter trois heures durant dans un hall inhospitalier où chacun s’est allégrement piqué le peu de wifi disponible… Ce contretemps m’ayant fait loupé ma correspondance pour Port au Prince depuis la Guadeloupe, j’ai dû passer la nuit sur le département caribéen, et ainsi pu visiter un petit bout du sud de la Grande Terre, me laissant l’envie d’aller un jour marcher dans la basse Terre, plus sauvage. Me déplaçant en stop, je n’ai rencontré aucun autochtone mais discuté avec des métropolitains très sympathiques et totalement toqués de leur caillou d’élection. Après cette courte étape d’une matinée, je suis remontée une troisième fois dans l’avion pour un dernier saut de puce, et, dernière frasque du voyage, au moment précis où les roulettes allaient toucher le sol haïtien, le vent s’est levé du côté de la queue et le pilote du gros coucou a dû réamorcer net un décollage d’urgence pour venir se poser en sens inverse.. Heureusement, cette fois-ci tout le monde avait le cœur bien accroché… Retour à Port au Prince, donc, avec le gaz de ses 4×4 dans les rues encombrées, les quartiers délabrés et puis les plus beaux quartiers sur les hauteurs, la nuit à la maison étoile (que j’ai eue pour moi toute seule cette fois-ci, sans l’indien aux six orteils qui refuse de se laver, et pas que les pieds, croisé avant mon départ)… Aux premières lueurs, réveillée depuis des heures à cause du décalage horaire, je décolle dans mon bon vieux cruiser pour ma colline au bord de la frontière… Il a beaucoup plu pendant mon absence et la piste s’est vraiment détériorée. Je reste une fois coincée, ce qui ne m’est encore jamais arrivée. Reculer-avancer-reculer-avancer, je finis par trouver ma voie entre boue et cailloux, et achève sans encombre les deux heures, et cinquante kilomètres, de piste vers mon village, où comme d’hab je suis accueillie par les « Lala !! Lala !! » en haie d’honneur de la marmaille, les « mwen renmen ou » de la jeunesse qui convoite encore après deux ans la blanc passeport pour un avenir en or, et les sourires de mes voisins à qui j’ai manqué et qui se demande bien ce que je leur ai rapporté…

Pendant mon retour en France, la construction de l’école a avancé et celle-ci est désormais coiffée de son toit de zinc et de sa petite ligne de cheminée, invention ingénieuse de Gilles _qu’il a pompée je crois sur les poulaillers drômois-, et qui permet à l’air brûlant de s’échapper. Pendant que le boss coule le ciment des sols, Gilles s’attaque à la confection des cloisons pièges à sons, œuvre inspirée des conseils avisés de Laetitia pour essayer d’atteindre un volume sonore acceptable. La participation communautaire continue à faire largement défaut. Je discute beaucoup avec mon équipe pour tenter de comprendre ce qui faille et comment remédier aux difficultés. Il est certain que l’environnement nous est de moins en moins favorable depuis l’arrivée régulière d’organisations, gouvernementales ou pas, aux principes d’assistanat rendant inepte notre philosophie participative qui certes responsabilise.. mais dans laquelle il faut suer pour pas un rond. Juste à côté, yaka rester assis pour que se construisent les latrines tant convoitées, ou tendre la main pour que tombent quelques gourdes pour avoir porté un seau d’eau ou de ciment ! D’après l’équipe, l’autre problème vient de la nourriture, des kombit. Nous prenons à notre charge le matériel et son transport ainsi que les artisans, et charge à la communauté de fournir des bras pour aider les maçons et aller chercher l’eau à la rivière pour le béton, et de fournir les denrées et les cuisinières pour ravitailler l’équipe du chantier. Le problème est que la nourriture est de plus en plus chère, les prix s’envolnt avec la chevauchée folle du dollar, et le riz-pois au fond de l’assiette du travailleur est trop chiche pour donner envie d’y revenir une autre fois… Bref, on « passe anpil misère » comme on dit ici, pour faire de ce chantier une œuvre communautaire, et le boss en chef est fatigué de ce chantier qui lui coûte quasiment plus qu’il ne lui rapporte au final. Nuage de doutes au-dessus de ma tête…

 

Relax, bientôt les vacances, me diriez-vous ?! Ouh que nenni! Vacances = formations. Formations = 150 personnes à nourrir chaque jour, tournée de riz/pois, sandwich au beurre de cacahuètes et spaghettis aux harengs fumés (ptit dej favori des haïtiens). Quatre semaines de formation sont prévues dès la semaine prochaine, et elles sont très importantes. Même si elles relèvent du niveau CE2/CM1, elles permettent à chacun d’améliorer ses connaissances, et aussi un peu ses compétences pédagogiques, au moyen de nombreuses mises en situation qui permettent de jouer au prof et aux élèves, ce dont ils raffolent. Au milieu de tout cela, nous attendent également vingt-cinq réunions de bilan avec chacune des écoles, pour évaluer, en cette fin de première année d’appui, les forces et les faiblesses de chacune, afin de les aider à continuer à s’améliorer. A vu de nez, il y a eu de belles avancées, notamment concernant l’effort des parents à payer les écolages et des directeurs à gérer correctement l’école et payer les professeurs, mais il me reste encore quelques jours et nuits à passer sur excel (toujours autant mon ennemi) pour dégager véritablement les tendances de la zone…

Après ça, il y aura quand même de vraies vacances, deux semaines aoûtiennes, qui me permettront de continuer à visiter un peu Haïti ou alors de m’enfoncer plus loin dans la voisine République Dominicaine dont je ne connais toujours, après deux ans, que la ligne frontalière.

Depuis trois mois, je partage mon temps libre entre Lamyèl l’haïtienne et Restauraciòn la dominicaine. Je commence à connaître et apprécier de mieux en mieux ce pays, la République Dominicaine, cet autre bout d’île, un peu schizo, qui ne reconnait pas sa sœur jumelle et nie tout appartenance commune avec ce côté trop sombre du caillou. De nombreux dominicains, tout particulièrement dans la zone frontalière, comptent pourtant un ancêtre haïtien. Depuis quelques mois, lassée des discours à coup de machette sur ces frères méconnus, je m’amuse à entrainer dominicains et dominicaines dans mes déplacements dans le pays, à Lamyèl, Hinche, Jacmel ou Port au Prince, et me délecte des réactions médusées de ces injustes voisins. Ils découvrent un pays et une civilisation bien plus développés non seulement que ce que leurs préjugés leur dictaient, mais encore de leur réalité dominicaine. Port au Prince est bien plus riche que la capitale Santo Domingo, et l’on peut y soutenir un regard sans rencontrer un couteau mais au contraire un large sourire. L’on y trouve des tas de trucs incroyables comme du vrai vin, du fromage et du saucisson (craché par terre avec dégoût si avalé cru par excès de confiance, mais apprécié si frit dans une poêle bien grasse, ce qui prouve encore une fois que la culture est vraiment une chose insondable, et ramène à mon souvenir ce jour où j’ai vexé une amie en recrachant avec dégoût le maté offert avec convivialité… Il faut vraiment être français ou argentin pour se délecter d’un bout de cadavre séché ou d’une goulée de jus de cendrier).

Ces voyages en Haïti en compagnie dominicaine sont l’occasion de situations cocasses, où les haïtiens s’adressant à ceux qui m’accompagnent, sûrs de trouver en eux des concitoyens, restent coi lorsque le créole attendu de la – bizarrement mutique- bouche noire sort, parfait malgré l’accent, de la bouche de la « blan » !! Ou bien encore, arborant un look ostensiblement étranger, les plus noirs de mes compagnons, ceux-là même qui leur vie durant ont souffert de discrimination dans leur Dominicanie qui les trouvaient trop « negro », se font soudain traiter de « blancs »… « hé blanco, dame un péso, esta flaca la barriqua !!! » leur lance-t-on en se tenant la panse à deux mains pour montrer qu’on a grand faim… Mon plaisir est total lorsqu’ils se sentent penauds de ne pas connaître un traitre mot de créole et disent enfin « je suis haïtien » ou tout au moins… « j’ai du sang haïtien » !!!!!

Dans le même temps, j’apprends tout de la vie dominicaine, sa douceur de vivre, sa musique, sa danse, sa cuisine (qui comme dans toute la Caraïbe semble-t-il est une variation riz-poisienne), sa langue trainante et chantante. Après deux années passées à travailler trois week-ends sur quatre, je redécouvre le plaisir des fins de semaine… ballades et baignades en rivières et cascades revigorantes, bachata et merengue, soirées de playlists de musique romantique lancée pour s’envoyer des messages ou faire plaisir à un ami, un oncle, sa mère…. Ici, la musique fait office de littérature. Chacun est une discothèque vivante et connait des centaines de chansons par cœur, entonnées, toujours très faux, au moment adéquat. J’ai encore du mal à faire le lien entre cette musique romantique qui tirent les larmes et content de si belles histoires à ceux et celles qui par ailleurs se montrent, à de rares exceptions près, dans la vie si peu tendres, fidèles et attentionnés.

La classe moyenne est ici très nombreuse, avec certes des difficultés économiques importantes, mais un travail de fourmi et les micro-aides du gouvernement socialiste permettent à tout un chacun et petit à petit, d’accéder à un confort minimum de vie.

Les maisons sont simples mais chaleureuses, ouvertes à l’ami de visite ou de passage, qui trouvera toujours une assiette à son intention. Tous les matins, Carmencita offre les premières gouttes de la cafetière aux saints et aux esprits, jetant quelques gouttes par terre au pied de l’évier. Depuis son enfance, Alejandro lave lui-même son linge dans la lavadora, sorte de « kadett » de notre enfance, avec son bac pour le lavage et l’autre pour l’essorage, le rinçage se faisant à la main, dans le bac à l’extérieur, sorte d’aquagym dont je raffole -et dont j’abuse depuis que l’on m’invite à laver mon propre linge, lassée que j’étais de mes habits tout élimés après deux frottages sous la pierre de la rivière et tout troué du séchage sur les cactus et les barbelés !

En attendant, moi, je compte les rous de ma ceinture… je m’ « engordis et cultive  ma « pansita »

pitit mwen en Ayiti

« No tengo dinero ni nada que dar, lo unico que tengo es amor para amar.. » .. retour à la maison en chatouillant le dos des collines, le long de la piste qui serpente et cahote jusqu’à Lamyèl, en plein cœur de l’île… Dans l’autoradio, la musique est mexicaine, et romantique comme il se doit… Ana Gabriel chante l’amour et ses chagrins, et grâce à elle je décrypte l’âme caribolatinoaméricaine et m’améliore en espagnol. Chanter à tue-tête, vivre les paroles passionnément… et assassiner la mélodie, à la mode dominicaine !

Les deux mois qui viennent de s’écouler, à la vitesse de l’éclair et du sablier, ont été remplis de visites et de rencontres, courageux visiteurs grimpés à la rencontre du projet à Lamyèl ou voyageurs croisés à Port au Prince, sous le toit de la « kay zetwal », la maison étoile où je me pose à chacun de mes passages par la capitale. Dans le top 4 de mes rencontres : Catherine la québécoise, qui, le temps de sa longue enquête sur les plannings familiaux citadins et ruraux, a su faire de la star House une vraie maison, offrant à tous son oreille et ses talents culinaires, et mettant au pli les passagers bordéliques… Florian l’allemand, photographe curieux insatiable venu shooter les cochons haïtiens …. Andy le marcheur polonais de Stuttgart, capable de parcourir sans fatigue et avec le même plaisir les voies saturées et polluées de Port au Prince et les montagnes jamaïcaines ou costaricaines, et puis surtout Francine la parisienne, musicienne globe-trotteuse amoureuse du Sri Lanka, venue poser son regard bienveillant et positif sur le projet à un moment de doutes, et devenue le temps d’une semaine partagée à Lamyèl, une amie.

Mes tous derniers visiteurs ont quant à eux conquis mon cœur depuis longtemps… Manon et Elie, qui viennent de passer ces dernières semaines avec moi, ont littéralement été conquis par l’île…Côté Dominicain, ils sont tombés pour ses habitant(e)s au cœur sur la main, drôles et sans complexes, pour ses soirées toutes simples où l’on danse la bachata ou le merengue en plein air en rigolant comme des baleines pour trois fois rien, une bouteille de « presidente » dans une main, un verre de « Ron Barcelo » dans l’autre, pour les douces journées en maillot de bain, doigts de pieds en éventail dans un cadre de ouf, sable blanc, cocotier, ciel azur… voire même pour ses combats de coqs, lesquels meurent pour des poignées de pesos sous les cris hystériques des hommes qui se rejouent les combats, ou encore pour ses dimanches de Carnaval où les hommes se fouettent à grands coup de corde pour… le plaisir ? Se prouver qu’ils sont des hommes ??

 

 

Côté Haïtien, ils étaient attendus comme le messie, et ont fait la connaissance de mes voisins, de mon équipe, des personnes avec qui je travaille, des gens du village, etc…. Ils m’ont suivie et aidée dans mes activités.

  

Grosse activité du moment : la construction d’une école. Ce tout premier chantier a débuté en janvier avec l’aplanissement du terrain par les parents, et demande au quotidien un sacré paquet d’énergie, pour eux comme pour nous.. Tout à notre crédo, «on ne fait pas pour les gens ni à leur place, mais avec eux », on passe parfois pour être un peu « raides » et les parents préfèreraient peut-être une de ces ONG qui débarquent avec un régiment de blancs qui fait tout et puis où il y a plein de packs de coca aux réunions où il suffit d’opiner du chef un p’tit coup de temps en temps… Mais nous, à notre histoire, on y croit fort ! On accompagne les gens, on les soutient, mais ce sont eux qui portent les projets. Alors, pour les encourager, les emmener, leur donner du cœur à l’ouvrage et leur rappeler sans relâche que l’on travaille ensemble, dans le but d’offrir un meilleur environnement scolaire aux deux cents élèves pour le moment agglutinés et mal assis sur des bancs de fortune posés sur un plancher pourri, travaillant dans un vacarme assourdissant dans la bicoque de bois que l’on voit plus bas sur les photos (video Ecole), j’ai nommé Marilouse animatrice du chantier !! Surnommée « l’ingénieuse » quand, les premières semaines, armée de son niveau, elle vérifiait le travail des parents et le plan du terrain, la voilà désormais «contremaitre» et il faut bien toute son autorité « naturelle »  et son énergie pour faire avancer le chantier. Un pic à la main, un seau d’eau sur la tête, elle est aussi la première à mettre la main à la pâte et la dernière à quitter le terrain, forçant en cela le respect de chacun.

 

La colline aplanie et les fondations creusées, fruit du travail bénévole des parents, nous avons commencé à contribuer financièrement en achetant le matériel, sable, graviers, roches, moellons, ferrailles, sacs de ciment, et en payant une équipe de trois « bos » maçons. La présence des parents est toujours primordiale, qui pour aller chercher l’eau de la rivière pour couler le béton, loin au fond du vallon, qui pour prêter main-forte aux bos, qui pour préparer le repas pour l’équipe du chantier avec les ingrédients fournis par la communauté.

Le bâtiment comportera quatre salles de classe, il est construit aux normes parasismiques que Gilles, notre « appui technique », a rapportées de son expérience avec une équipe de japonais il y a quelques années, et, grâce à l’apport de Laêtitia (oui oui la nôtre, Laëti du Ramina, de la Friterie) et de ses conseils précieux en matière d’insonorisation, que Gilles a traduit en cloisons intérieures faites de caissons en bois, les enfants (et les profs) devraient bénéficier de meilleures conditions d’apprentissage. Côté dominicain, on fabrique les pupitres qui leur permettront non seulement d’être bien assis, mais aussi de poser leur cahier sur une tablette, plus pratiques pour écrire que penché sur ses genoux..

Acheminer les matériaux jusqu’au chantier n’est pas chose facile. Ils sont achetés en République Dominicaine. Un premier camion, dominicain, les livre juste avant la frontière, au bout de la bande d’asphalte. Un deuxième camion, haïtien, les charge par petites quantités et les transporte sur les sept kilomètres de piste jusqu’au chantier à Lamyèl. Tout cela représente une grosse organisation, et un budget conséquent… J’utilise énormément l’application what’s app, que je ne connaissais pas il y a encore trois mois, et qui me sauve bien la vie, que ce soit pour garder le contact avec « l’autre bord » comme on dit ici, amis et famille de l’autre côté de l’océan, ou pour m’éviter des centaines de kilomètres et des journées perdues pour demander des devis ou commander les matériaux… L’autre grosse difficulté à laquelle nous sommes confrontés pour le chantier est l’absence de bois. Le ministère de l’environnement dominicain a depuis le premier janvier interdit toute coupe et il se dit que l’interdiction pourrait courir toute l’année… Dans la petite ville voisine de Restauration, dont les collines sont sur vingt kilomètres entièrement boisées d’essences variées, seules trois scieries travaillent sur vingt-deux. Dans la première, les prix sont exorbitants et il est impossible de marchander. Dans la seconde le bois est déjà promis. Dans la troisième, dénichée en suivant un camion de rondins, j’ai dégoté quelques planches de coffrage, bien trop chères et de mauvaise qualité, et au prix de beaucoup de patience, assise pendant des kilomètres sur le porte-bagage de la vieille pétrolette du propriétaire et supportant sans broncher ses propositions très directes… je ne sais pas encore où je vais trouver les centaines de « pieds carrés » nécessaires pour la charpente…

Récréation de l’école Cœurs Unis, une vieille voisine vend des beignets (de maggi !!) :

Pendant que Marylouse se consacre aux chantiers, le reste de l’équipe se démène aussi. Les conseillers pédagogiques visitent les écoles chaque jour pour prodiguer leurs conseils aux professeurs qu’ils observent, et les animateurs continuent de sillonner les campagnes pour faire de la sensibilisation, grâce au photolangage, sur l’importance de l’école –et notamment de choisir une « bonne » école pour favoriser la réussite de leurs enfants (ce qui est un peu leur garantie de « retraite »). Nous continuons également d’organiser des formations pour les professeurs, afin d’améliorer non seulement l’environnement des écoles (via les constructions) mais bien aussi les apprentissages. Pour permettre aux élèves de progresser, il faut d’abord permettre aux professeurs d’améliorer leurs connaissances. C’est l’équipe de professeurs des écoles nationales de la région de Hinche, ayant suivi un cursus en école normale et passionnés de pédagogie, qui nous aide dans cette mission. Mi mars (en photo), ils étaient sept pour aider cent vingt professeurs à se perfectionner sur les systèmes de mesure ou sur l’apprentissage de la lecture. La semaine prochaine une formation est organisée à destination des profs de préscolaire, et puis une autre en mi-avril permettra à tous d’améliorer leurs connaissances en mathématiques. Les sessions sont de plus en plus suivies, et les formateurs sont plébiscités, aidant chacun à progresser et offrant des formations vraiment pragmatiques et utiles pour les enseignants.

Je me suis moi-même tout récemment livrée à une bien étrange activité : j’ai participé « au mouvement » de l’éducation nationale, dans le but de réintégrer une classe l’an prochain, de janvier à juin. C’est là l’une des opportunités supplémentaires de nous-autres, chanceux enseignants : en plus de toutes nos vacances, on peut travailler la moitié de l’année (c’est-à-dire 5 mois) et percevoir la moitié de notre salaire toute l’année. J’ai envie de faire une pause de deux mois après ces quatre ans de mission à l’étranger, expérience passionnante mais un peu fatigante, et de passer quelques mois près de mes proches, ma famille bien sûr mais aussi les amis dont je sens que les liens se distendent au fur et à mesure que le temps passe. Avant de repartir pour un nouveau projet, si possible pour Inter Aide dont je partage à fond les valeurs, et si possible du côté de l’Asie, partie du monde que je ne connais toujours pas -et que je n’ai pas envie de découvrir comme touriste. Je préfère cette forme de voyage qui est la mienne, commencée alors que je n’avais pas vingt ans avec l’Italie et le Maroc : poser mes pénates assez longtemps pour baragouiner au moins un peu dans la langue des habitants, et comprendre, voire partager, le mode de vie. J’ai laissé tomber le projet cubain, parce qu’un troisième voyage m’a fait gratter un peu trop fort le vernis, et j’ai découvert le vrai visage de cette belle île : un triste théâtre pour touristes, où l’on ne danse et chante la salsa qu’à contrecœur, en grimaçant dans le dos du gringo. Les cubains n’aiment pas leur pays, et aujourd’hui je ne sais plus bien moi-même ce que j’ai pu lui trouver… J’ai l’impression que Ry Cooder s’est fait avoir et nous avec, mais je ne veux pas décourager quiconque d’aller voir ça de plus près. Simplement, un conseil, pour ne pas briser la magie : restez à votre place… de touristes ! En attendant, je rentre en France en mai pour quelques jours, retour annuel imposé par l’association pour faire un check de santé, un debriefing avec la direction, et j’en profiterai bien sûr pour passer quelques jours à Sinté.

visiteur du soir, espoir…. lol !!

 

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« Haïti fait partie de notre histoire, mais non de notre mémoire. Le faible connaît le fort, qui le méconnaît. Nous sommes partie prenante au légendaire haïtien, lequel n’a aucune place dans le nôtre. Les esclaves insurgés de 1791 ont pourtant donné son faire au dire de 1789. Combien de français savent que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen fut initiée à Paris mais accomplie à Saint Domingue, où les droits de l’homme blanc devinrent, presqu’à notre insu, universels pour de bon ? 1789 appartient à l’histoire d’Haïti comme son indépendance de 1804 appartient à l’histoire de France –et du monde. (…) Haïti est à cet égard malade d’un trop de mémoire, et la France d’un pas assez. Au vrai, nous avons tous refoulé la geste de la première République Noire du monde (et du premier Etat indépendant d’Amérique Latine). Elle a infligé sa première défaite militaire à l’Empire naissant, avant Trafalgar, en défaisant, la fièvre jaune aidant, les 47 000 expéditionnaires commandés par le général Leclerc, beau-frère de Napoléon. L’esclave a humilié le maitre. Tout haïtien s’en souvient. Les Français tombent des nues : Napoléon l’esclavagiste terrassé par des nègres ? Pas entendu causer. (…) La quasi-disparition d’Haïti, souvent confondue avec Tahiti dans les conversations, et plus largement de l’esclavage dans notre roman national, ne procède pas d’une lacune ni d’un interdit, mais d’une rature au sens freudien. La face noire des Lumières (le siècle de tous le plus esclavagiste), ou l’envers du lustre européen –cales étouffantes, amputations, chicotte, tortures, fouets- n’est pas ce que nos compatriotes ont le plus envie de contempler de leur passé. (..) »…

Petit à petit, je continue à chercher à comprendre pourquoi Haïti ne sort pas de sa condition de « pays parmi les plus pauvres du monde » et ce qui le différencie tant de sa voisine dominicaine. Le texte ci-dessus est extrait d’un rapport français rédigé à l’occasion du bicentenaire de la république d’Haïti (1804/2004), et fait suite à la réclamation de quelques milliards de dollars par le président alors en place, Aristide (celui-là même que j’ai croisé au bar du coin à Hinche il y a quelques semaines, traité comme un vulgaire péquin par les serveurs). Aristide réclamait 21 685 135 571 USD. Et 48 cents. Très exactement. Pour restitution et réparation. Réparation de deux siècles d’esclavage, enfin classé « crime contre l’humanité ». Restitution de la dette qu’avait dû verser Haïti à la France après son indépendance. Ce chiffre pas vraiment rond représentait la valeur réactualisée, selon les conseils d’un cabinet d’affaires américain, des 90 millions de francs-or versés à la France par Haïti entre 1825 et 1885, en compensation des « pertes subies » par les colons, assassinés ou en fuite après l’indépendance et la fin de l’esclavage. Rembobinage… Le 1er janvier 1804, après deux années de guerre d’indépendance qui se soldèrent par la défaite du corps expéditionnaire français, Haïti proclamait son indépendance. Les premières décisions du tout nouveau gouvernement furent la confiscation des biens et le massacre de quinze mille colons, mettant quinze mille autres en fuite. Dix ans plus tard, alors que la France tentait à nouveau de réintégrer Haïti dans le giron de ses colonies, les haïtiens opposèrent un farouche refus, et proposèrent (d’après ledit rapport) le versement d’une « indemnité raisonnablement calculée (…) destinée à dédommager les anciens colons qui réclameraient une indemnité . Après un chipotage de vingt ans sur le montant, les négociations aboutissent, la France réclame cent cinquante millions de francs. Le président haïtien, Boyer, accepte… et emprunte de l’argent à Paris pour payer les premiers termes de la dette. Au final, celle-ci sera ramenée à 60 millions… plus 30 millions lié à ce premier emprunt, soit 90 millions qu’Haïti paiera intégralement à la France, « tipa tipa » jusqu’en 1883. « A ces conditions », la France concède «aux habitants de la partie française de Saint-Domingue l’indépendance pleine et entière de leur gouvernement ». A part les américains -qui seront beaucoup plus longs-, le monde reconnait donc enfin l’indépendance d’Haïti, avec vingt ans de retard.

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Pourquoi le pays ne sort-il pas la tête de l’eau après un si beau démarrage ? Au-delà bien sûr des dégâts inhérents à tout système colonialiste, les deux principales raisons pointées par le rapport sont celles que malheureusement je vérifie en vivant sur place. D’abord, le comportement des créoles, ceux nés dans la colonie de Saint-Domingue,( plus clairs de peau, donnant lieu à une « lutte du teint » équivalente à notre lutte des classes), qui après le départ des colons, « se sont appropriés, tel quel, l’ancien état colonial, et passant du statut de dominé à celui de dominant, n’ont eu de cesse d’asservir la grand majorité constituée de tous ces autre Haïtiens qui, eux, étaient nés en Afrique. (…) Cet état côtier, militarisé, chamarré et occidentalisé, prenant la place encore chaude du Maître blanc, a instauré de tels rapports d’exploitation et d’exclusion avec la masse rurale «africaine » de l’intérieur, qu’au lieu d’accompagner le développement matériel et mental de la nation, il l’a systématiquement contré. Avec le catholicisme contre le vaudou, le français contre le créole, le code Napoléon contre le droit coutumier, l’armée contre le peuple, etc… L’état parasitaire et prédateur extorque à la paysannerie les surplus qui lui sont nécessaires, pendant que les grandes familles de l’import-export investissent autant et plus à l’extérieur qu’à l’intérieur. Pas d’accumulation de capital. Pas de construction administrative. Pas de services publics. Marronnage et comportement de fuite généralisés. » Ainsi, « Haïti est un état sans nation », où règnent «l’égoïsme invétéré de la classe dirigeante experte à faire passer ses intérêts personnels avant l’intérêt collectif, la captation de l’aide par les petits chefs locaux, la difficulté à déléguer ou partager le pouvoir, la fuite des cerveaux », un pays plein de politiciens mais dénué d’hommes d’état.

La deuxième raison pointée par le rapport me semble tout aussi probable. L’incommensurable fierté des Haïtiens. Quand la République dominicaine s’écrase face à l’occupant américain et subit passivement tous ses efforts de « mises à –ses propres- normes civilisationnelles », tandis qu’elle se plie aux injonctions de programmes d’aide, ou d’assistance, occidentaux divers et variés… les Haïtiens, eux, résistent, de toute la force de leur fierté. Et tandis qu’Haïti lutte et développe son immense âme créatrice, les dominicains, eux, créent des ponts, des routes, des industries, des écoles, des hôpitaux, et autres infrastructures sociales et politiques, et se tournent vers le socialisme. Je vis sur la frontière haïtio-dominicaine et pour passer d’un pays à l’autre, je n’ai qu’un pont à franchir. Sans la moindre transition, d’un côté l’asphalte lisse, la forêt dense et variée, la pluie, puis les maisons en dur, les rues pleines de motocyclettes conduites par des belles bien cambrées aux immenses bigoudis dans les cheveux, la station essence, les magasins, les bornes wifi font la nique à la piste de pierres et de boue, puis de la poussière traitre de la sécheresse, les cases de bois aux toits de tôle, les courses de gamins à poil derrière un pneu de mobylette, la lessive et le bain aux yeux de tous dans la rivière, les arbres rares, immanquablement goyaviers, manguiers ou avocats, aux pauvres racines mises à nue par l’érosion.

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Quid au fait de la demande d’Aristide de remboursement de la dette à sa valeur capitalisée ?? La France refusa en 2004 de prendre au sérieux la demande d’Aristide, au motif qu’elle ne rencontrait de toutes façons pas d’écho véritable au sein même du pays, et parce qu’elle n’avait pas de fondement juridique : « le droit international exige qu’un acte soit apprécié au regard du droit en vigueur au moment où cet acte s’est produit. Il est certes à nos yeux scandaleux qu’Haïti ait dû en quelque sorte acheter en francs-or sa reconnaissance internationale après avoir conquis son indépendance au prix de son sang, mais faut-il rappeler que le droit à l’autodétermination des peuples n’existait pas en 1838 ? Pas plus que la notion de crime contre l’humanité, née au lendemain de la deuxième guerre mondiale ». Le minimum ne serait-il pas que la France reconnaisse l’injustice et les crimes commis ?? Dimanche dernier, Haïti votait de nouveau pour son pantin… pardon président, parmi une brochette d’une bonne trentaine de candidats et candidates. Deuxième premier tour, nouvel essai, après le raté de l’an dernier. Les mathématiques n’en croient pas leurs yeux ni leurs oreilles. Un candidat sort vainqueur avec 55,6% des voix, Jovenel Moïse, PDG de la banane. Les HaÏtiens préfèrent en rire. « Ah tu aimes pas la banane, ben tu vas en manger, et sans sauce ! ».. Précisons qu’ici la banane se mange verte, en guise de féculent. Pesant. Les manifestations se succèdent depuis une semaine à Port au Prince. Les autres candidats saisissent la justice pour fraude…. N’ap swiv….

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Mais laissons là la grande histoire et retournons à mes petites aventures. Un peu pimentées ces derniers temps. Des flics qui me tirent dessus un mardi au marché de Tilory. Un voleur qui ouvre ma portière et se fait la malle avec mon sac à dos (bien rempli) un dimanche à Port au Prince. Un assassin qui vient habiter dans mon lakou un vendredi.

Un mardi donc, alors que j’arrivais, la voiture remplie de « roues libres » au village frontalier de Tilory un jour de marché, les flics étaient aux prises avec un jeune voleur qui eut soudain la mauvaise idée de s’échapper et de courir dans ma direction. M’ayant dépassé, il m’a ainsi laissée dans la ligne de mire des policiers, qui se sont mis à tirer des balles en pointant leurs pétoires dans ma direction -et celle de tous les paysans et kabrit qui m’entouraient. Par miracle, personne n’a été touché… Passée la surprise de se retrouver face à un canon tenu par un flic en pleine course, la situation était plus cocasse qu’effrayante. Le vol de mon sac à dos quelques jours plus tard m’a bien moins fait rire… Adieu dollars américains, gourdes haïtiennes, passeport, permis, ipod, smartphone, documents de travail, etc… De retour de l’aéroport, à Port au Prince, tout à la joie des retrouvailles avec Nath venue me rendre visite, nous avons soudain été prises soudain dans un embouteillage, classique le dimanche soir, près de l’ancien cimetière reconverti en gare routière dans le bas de Pétionville. En quelques secondes, un bras s’est glissé à l’arrière par la portière arrière et mon sac s’est envolé… j’ai bondi hors de la voiture, pieds nus car c’est toujours ainsi que je conduis, coursé le gars en gueulant « o volè » à travers l’ancien cimetière,… pfff, peine perdue, j’ai rapidement abandonné la partie. Dégoutée en pensant à tout ce qui s’est envolé. Mais bien contente d’être encore en vie et de ne pas m’être blessée. En Haïti, on tue facilement pour un billet ou un sac à dos. A l’ambassade où je suis allée faire ma déclaration de vol, j’étais déjà le troisième vol de la journée (dont un à main armée) et apparemment rien que cette année, ce ne sont pas moins de quatre français qui se sont fait assassiner à la sortie d’un distributeur de billets !! Voilà qui fait relativiser !!!

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L’assassin du lakou, c’est du gentil, une affaire de crime passionnel. Le gars a piqué la gonzesse d’un quidam, s’est pris un coup de sabre vengeur sur le crane et a enfoncé le sien dans la barback de l’autre. Pof, il est mort. Comme ça s’est passé en Rep Dom et que le gars veut pas finir en prison, il a embarqué sa pouf, deux exemplaires de sa progéniture apparemment prolixe, et a déboulé dans mon lakou. Bon, ça fait des nouveaux voisins… J’ai par contre un mal fou avec les coups de ceinturons qui pleuvent quotidiennement sur les deux marmots qui n’ont pas six ans. C’est ainsi que fonctionne l’éducation des enfants ici. Les profs vont à l’école avec le ceinturon autour du cou ! Difficile d’intervenir auprès d’un père, alors on se rattrape sur les profs, on fait beaucoup de sensibilisation avec mon équipe, rappelant au passage que la loi interdit les châtiments corporels.

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Le projet avance bien. Les animations parents sur l’importance de l’école battent leur plein –enfin, lorsqu’elles ne sont pas annulées pour cause de pluie ou parce que tout le monde est parti ramasser les pois-congos au jardin pour faire des pesos. Elles fonctionnent bien, les parents en redemandent, et les animateurs et animatrices ont bien du plaisir à l’animer.

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Les quatre conseillers pédagogiques sont eux aussi bien au taquet, et suivent chacun une vingtaine d’instits, qu’ils voient réellement progresser, grâce aux formations, petit à petit. Côté construction, c’était jusque-là un peu le standby. Le directeur de l’une des deux écoles a acheté un terrain dans un endroit qui ne plait pas aux parents. « Garde-Brûlée », un lieu un peu maudit, avec plein de « diables «  et trop de « beau-corps » (prêtres vaudou). Les parents ayant menacé de retirer leurs enfants, le directeur s’est rabattu sur un nouveau terrain. En revanche, dans l’autre école, à Lamyèl, les travaux d’aplanissement du terrain ont été décidé lors d’une réunion communautaire dimanche dernier -après la messe comme il se doit)… Les parents ont décidé de commencer vendredi prochain, le 9 décembre… Dans les deux cas, avant d’engager les achats pour les travaux, j’attends les documents officiels de propriété et d’arpentage, à la charge des écoles. Sans impatience. Les écoles impulsent le rythme, nous on suit, comme toujours selon la philosophie inter Aide

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Je croule littéralement sous le boulot, mais j’y vais un peu plus mollo que l’an dernier. Je m’économise, pour faire les choses avec plus de plaisir. J’ai néanmoins peu le temps d’écrire. Je le fais aujourd’hui rien que pour fêter le retour de la fée électricité, qui m’avait désertée depuis bientôt deux mois. Imaginez-vous deux mois sans jus. Vous tournez le bouton, mais rien… le noir. Pas d’ordinateur. Pas de lumière. Pas de musique. Pas de film. La nuit à 17h30. Sauvée par la frontale et ses piles inusables pour quelques heures de lecture. Et puis fatiguée de lire, plus rien à faire encore. Les voisins qui ronflent de l’autre côté de la cloison depuis 19h30. A 20h, dégoutée, se mettre au lit, il n’y a plus que ça à faire (sans musique, iPod volé, vous vous souvenez ?). Dormir quelques heures et se réveiller à 2 heures du mat, sommeil avalé. Attendre le lever du jour, 4h et demi ou 5h, et me lever à mon tour. Comme les voisins. C’est pas une vie je vous jure ! J’ai cherché l’origine du problème pendant des semaines. Fait couper le manguier qui faisait de l’ombre aux panneaux solaires, changé des diodes sur les panneaux, acheté un testeur de batterie, nettoyé les cosses avec des oranges amères, mis de l’eau et de l’acide, retirés ensuite à la seringue, vérifié si l’installation avait pas été grignoté par les rats, pensé que c’était un bagay mystique. J’ai fini par rencontrer un électricien dominicain qui m’a révélé l’origine, simple, du problème : batteries mortes, sans puissance, cette dernière se mesurant en ampères et non pas en volt comme je le testais. Je croyais avoir de quoi éclairer tout le village avec mon installation, et il est au final bien vrai que mes 4 ampoules, mon ordi, mon téléphone et mon imprimante, qui constituent là l’ensemble de mon équipement électrique, pompaient le peu d’énergie que les batteries avaient à offrir. Deux nouvelles batteries et une installation d’ampoules 12V destinées à économiser l’inverter (12V/11OV) plus tard, me voilà ré illuminée –et spécialiste du calcul en énergie solaire !

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Aujourd’hui, les cendres de Fidel Castro ont retrouvé la terre de ses toutes premières luttes contre l’envahisseur et l’impérialisme américains… Une page muy fuerte de l’histoire du monde se tourne là et, en dépit des privations imposées au peuple et des malversations de la famille ces dernières années, c’est un grand homme qui s’en est allé. J’ai quitté Cuba il y a deux semaines exactement, et regrette bien de n’avoir pas repoussé d’autant mon deuxième voyage dans ce pays. J’aurais aimé partager ce moment avec les cubaines et les cu ains, qui, sans rancune ni faux-semblant, lui rendent dans une immense majorité un hommage sincère. L’hommage à un homme qui leur voulait du bien…

Adios el Salvaje, y a pesar de tu muerte, comme ton peuple, perpétuel adolescent selon nos critères de vieux occidentaux, chaleureux, joueur, rieur, danseur, chanteur, sauvage et romantique, portons le plaisir aux nues quelle que soit la dureté de la vie. Disfrutamonos y HASTA LA VISTA !!