Deux ans en Haïti..

Cela fait maintenant vingt-cinq mois que je suis en Haïti. J’ai fêté mon deuxième anniversaire en France, pour une course poursuite d’une quinzaine de jours entre médecins, famille et amis, avec pour ligne d’arrivée les bureaux d’interaide, à un jet de saké de la cabane de Louis quatorze.

J’ai d’abord trouvé tout le monde trop blanc et trop maigre et cherché partout des yeux les frères et sœurs noirs, et puis j’ai fini par me réhabituer. Ravie de revoir mon petit monde, j’ai été contente aussi de resauter dans l’avion pour retrouver mon cher caillou.. ce qui n’a pas été aussi simple que prévu ! Infarctus d’un passager, changement de trajectoire, arrêt inopiné sur une île des Açores, qui depuis mon hublot m’a paru ressembler comme deux gouttes d’eau à la Normandie, temps frais et pluvieux, vaches marron aux tâches blanches, toits orangés de tuiles pentus, scenic et kangoo dans les ruelles. Portugaise et pas du tout polyglotte, l’île nous a fait un accueil militaire. Le rescapé de l’attaque cardiaque descendu sous bonne cohorte, nous avons dû nous aussi quitter l’avion et patienter trois heures durant dans un hall inhospitalier où chacun s’est allégrement piqué le peu de wifi disponible… Ce contretemps m’ayant fait loupé ma correspondance pour Port au Prince depuis la Guadeloupe, j’ai dû passer la nuit sur le département caribéen, et ainsi pu visiter un petit bout du sud de la Grande Terre, me laissant l’envie d’aller un jour marcher dans la basse Terre, plus sauvage. Me déplaçant en stop, je n’ai rencontré aucun autochtone mais discuté avec des métropolitains très sympathiques et totalement toqués de leur caillou d’élection. Après cette courte étape d’une matinée, je suis remontée une troisième fois dans l’avion pour un dernier saut de puce, et, dernière frasque du voyage, au moment précis où les roulettes allaient toucher le sol haïtien, le vent s’est levé du côté de la queue et le pilote du gros coucou a dû réamorcer net un décollage d’urgence pour venir se poser en sens inverse.. Heureusement, cette fois-ci tout le monde avait le cœur bien accroché… Retour à Port au Prince, donc, avec le gaz de ses 4×4 dans les rues encombrées, les quartiers délabrés et puis les plus beaux quartiers sur les hauteurs, la nuit à la maison étoile (que j’ai eue pour moi toute seule cette fois-ci, sans l’indien aux six orteils qui refuse de se laver, et pas que les pieds, croisé avant mon départ)… Aux premières lueurs, réveillée depuis des heures à cause du décalage horaire, je décolle dans mon bon vieux cruiser pour ma colline au bord de la frontière… Il a beaucoup plu pendant mon absence et la piste s’est vraiment détériorée. Je reste une fois coincée, ce qui ne m’est encore jamais arrivée. Reculer-avancer-reculer-avancer, je finis par trouver ma voie entre boue et cailloux, et achève sans encombre les deux heures, et cinquante kilomètres, de piste vers mon village, où comme d’hab je suis accueillie par les « Lala !! Lala !! » en haie d’honneur de la marmaille, les « mwen renmen ou » de la jeunesse qui convoite encore après deux ans la blanc passeport pour un avenir en or, et les sourires de mes voisins à qui j’ai manqué et qui se demande bien ce que je leur ai rapporté…

Pendant mon retour en France, la construction de l’école a avancé et celle-ci est désormais coiffée de son toit de zinc et de sa petite ligne de cheminée, invention ingénieuse de Gilles _qu’il a pompée je crois sur les poulaillers drômois-, et qui permet à l’air brûlant de s’échapper. Pendant que le boss coule le ciment des sols, Gilles s’attaque à la confection des cloisons pièges à sons, œuvre inspirée des conseils avisés de Laetitia pour essayer d’atteindre un volume sonore acceptable. La participation communautaire continue à faire largement défaut. Je discute beaucoup avec mon équipe pour tenter de comprendre ce qui faille et comment remédier aux difficultés. Il est certain que l’environnement nous est de moins en moins favorable depuis l’arrivée régulière d’organisations, gouvernementales ou pas, aux principes d’assistanat rendant inepte notre philosophie participative qui certes responsabilise.. mais dans laquelle il faut suer pour pas un rond. Juste à côté, yaka rester assis pour que se construisent les latrines tant convoitées, ou tendre la main pour que tombent quelques gourdes pour avoir porté un seau d’eau ou de ciment ! D’après l’équipe, l’autre problème vient de la nourriture, des kombit. Nous prenons à notre charge le matériel et son transport ainsi que les artisans, et charge à la communauté de fournir des bras pour aider les maçons et aller chercher l’eau à la rivière pour le béton, et de fournir les denrées et les cuisinières pour ravitailler l’équipe du chantier. Le problème est que la nourriture est de plus en plus chère, les prix s’envolnt avec la chevauchée folle du dollar, et le riz-pois au fond de l’assiette du travailleur est trop chiche pour donner envie d’y revenir une autre fois… Bref, on « passe anpil misère » comme on dit ici, pour faire de ce chantier une œuvre communautaire, et le boss en chef est fatigué de ce chantier qui lui coûte quasiment plus qu’il ne lui rapporte au final. Nuage de doutes au-dessus de ma tête…

 

Relax, bientôt les vacances, me diriez-vous ?! Ouh que nenni! Vacances = formations. Formations = 150 personnes à nourrir chaque jour, tournée de riz/pois, sandwich au beurre de cacahuètes et spaghettis aux harengs fumés (ptit dej favori des haïtiens). Quatre semaines de formation sont prévues dès la semaine prochaine, et elles sont très importantes. Même si elles relèvent du niveau CE2/CM1, elles permettent à chacun d’améliorer ses connaissances, et aussi un peu ses compétences pédagogiques, au moyen de nombreuses mises en situation qui permettent de jouer au prof et aux élèves, ce dont ils raffolent. Au milieu de tout cela, nous attendent également vingt-cinq réunions de bilan avec chacune des écoles, pour évaluer, en cette fin de première année d’appui, les forces et les faiblesses de chacune, afin de les aider à continuer à s’améliorer. A vu de nez, il y a eu de belles avancées, notamment concernant l’effort des parents à payer les écolages et des directeurs à gérer correctement l’école et payer les professeurs, mais il me reste encore quelques jours et nuits à passer sur excel (toujours autant mon ennemi) pour dégager véritablement les tendances de la zone…

Après ça, il y aura quand même de vraies vacances, deux semaines aoûtiennes, qui me permettront de continuer à visiter un peu Haïti ou alors de m’enfoncer plus loin dans la voisine République Dominicaine dont je ne connais toujours, après deux ans, que la ligne frontalière.

Depuis trois mois, je partage mon temps libre entre Lamyèl l’haïtienne et Restauraciòn la dominicaine. Je commence à connaître et apprécier de mieux en mieux ce pays, la République Dominicaine, cet autre bout d’île, un peu schizo, qui ne reconnait pas sa sœur jumelle et nie tout appartenance commune avec ce côté trop sombre du caillou. De nombreux dominicains, tout particulièrement dans la zone frontalière, comptent pourtant un ancêtre haïtien. Depuis quelques mois, lassée des discours à coup de machette sur ces frères méconnus, je m’amuse à entrainer dominicains et dominicaines dans mes déplacements dans le pays, à Lamyèl, Hinche, Jacmel ou Port au Prince, et me délecte des réactions médusées de ces injustes voisins. Ils découvrent un pays et une civilisation bien plus développés non seulement que ce que leurs préjugés leur dictaient, mais encore de leur réalité dominicaine. Port au Prince est bien plus riche que la capitale Santo Domingo, et l’on peut y soutenir un regard sans rencontrer un couteau mais au contraire un large sourire. L’on y trouve des tas de trucs incroyables comme du vrai vin, du fromage et du saucisson (craché par terre avec dégoût si avalé cru par excès de confiance, mais apprécié si frit dans une poêle bien grasse, ce qui prouve encore une fois que la culture est vraiment une chose insondable, et ramène à mon souvenir ce jour où j’ai vexé une amie en recrachant avec dégoût le maté offert avec convivialité… Il faut vraiment être français ou argentin pour se délecter d’un bout de cadavre séché ou d’une goulée de jus de cendrier).

Ces voyages en Haïti en compagnie dominicaine sont l’occasion de situations cocasses, où les haïtiens s’adressant à ceux qui m’accompagnent, sûrs de trouver en eux des concitoyens, restent coi lorsque le créole attendu de la – bizarrement mutique- bouche noire sort, parfait malgré l’accent, de la bouche de la « blan » !! Ou bien encore, arborant un look ostensiblement étranger, les plus noirs de mes compagnons, ceux-là même qui leur vie durant ont souffert de discrimination dans leur Dominicanie qui les trouvaient trop « negro », se font soudain traiter de « blancs »… « hé blanco, dame un péso, esta flaca la barriqua !!! » leur lance-t-on en se tenant la panse à deux mains pour montrer qu’on a grand faim… Mon plaisir est total lorsqu’ils se sentent penauds de ne pas connaître un traitre mot de créole et disent enfin « je suis haïtien » ou tout au moins… « j’ai du sang haïtien » !!!!!

Dans le même temps, j’apprends tout de la vie dominicaine, sa douceur de vivre, sa musique, sa danse, sa cuisine (qui comme dans toute la Caraïbe semble-t-il est une variation riz-poisienne), sa langue trainante et chantante. Après deux années passées à travailler trois week-ends sur quatre, je redécouvre le plaisir des fins de semaine… ballades et baignades en rivières et cascades revigorantes, bachata et merengue, soirées de playlists de musique romantique lancée pour s’envoyer des messages ou faire plaisir à un ami, un oncle, sa mère…. Ici, la musique fait office de littérature. Chacun est une discothèque vivante et connait des centaines de chansons par cœur, entonnées, toujours très faux, au moment adéquat. J’ai encore du mal à faire le lien entre cette musique romantique qui tirent les larmes et content de si belles histoires à ceux et celles qui par ailleurs se montrent, à de rares exceptions près, dans la vie si peu tendres, fidèles et attentionnés.

La classe moyenne est ici très nombreuse, avec certes des difficultés économiques importantes, mais un travail de fourmi et les micro-aides du gouvernement socialiste permettent à tout un chacun et petit à petit, d’accéder à un confort minimum de vie.

Les maisons sont simples mais chaleureuses, ouvertes à l’ami de visite ou de passage, qui trouvera toujours une assiette à son intention. Tous les matins, Carmencita offre les premières gouttes de la cafetière aux saints et aux esprits, jetant quelques gouttes par terre au pied de l’évier. Depuis son enfance, Alejandro lave lui-même son linge dans la lavadora, sorte de « kadett » de notre enfance, avec son bac pour le lavage et l’autre pour l’essorage, le rinçage se faisant à la main, dans le bac à l’extérieur, sorte d’aquagym dont je raffole -et dont j’abuse depuis que l’on m’invite à laver mon propre linge, lassée que j’étais de mes habits tout élimés après deux frottages sous la pierre de la rivière et tout troué du séchage sur les cactus et les barbelés !

En attendant, moi, je compte les rous de ma ceinture… je m’ « engordis et cultive  ma « pansita »

3 réflexions sur “Deux ans en Haïti..

  1. plein de bisous ma copine. je te sent en forme et suis ravi que tu profites au max. si j’ai compris tu es rentré en France et je pense que cela été la course. Nous tous va bien cette année on part au Portugal en voiture et en nov à Marrakech. je te fais de gros bisous et espère te lire prochainement

  2. plein de bisous ma copine. je te sent en forme et suis ravi que tu profites au max. si j’ai compris tu es rentré en France et je pense que cela été la course. Nous tous va bien cette année on part au Portugal en voiture et en nov à Marrakech. je te fais de gros bisous et espère te lire prochainement

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    Eric Le Roux
    Photographe
    Université Claude Bernard Lyon 1
    Direction de la Communication
    Maison de l’Université
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