pitit mwen en Ayiti

« No tengo dinero ni nada que dar, lo unico que tengo es amor para amar.. » .. retour à la maison en chatouillant le dos des collines, le long de la piste qui serpente et cahote jusqu’à Lamyèl, en plein cœur de l’île… Dans l’autoradio, la musique est mexicaine, et romantique comme il se doit… Ana Gabriel chante l’amour et ses chagrins, et grâce à elle je décrypte l’âme caribolatinoaméricaine et m’améliore en espagnol. Chanter à tue-tête, vivre les paroles passionnément… et assassiner la mélodie, à la mode dominicaine !

Les deux mois qui viennent de s’écouler, à la vitesse de l’éclair et du sablier, ont été remplis de visites et de rencontres, courageux visiteurs grimpés à la rencontre du projet à Lamyèl ou voyageurs croisés à Port au Prince, sous le toit de la « kay zetwal », la maison étoile où je me pose à chacun de mes passages par la capitale. Dans le top 4 de mes rencontres : Catherine la québécoise, qui, le temps de sa longue enquête sur les plannings familiaux citadins et ruraux, a su faire de la star House une vraie maison, offrant à tous son oreille et ses talents culinaires, et mettant au pli les passagers bordéliques… Florian l’allemand, photographe curieux insatiable venu shooter les cochons haïtiens …. Andy le marcheur polonais de Stuttgart, capable de parcourir sans fatigue et avec le même plaisir les voies saturées et polluées de Port au Prince et les montagnes jamaïcaines ou costaricaines, et puis surtout Francine la parisienne, musicienne globe-trotteuse amoureuse du Sri Lanka, venue poser son regard bienveillant et positif sur le projet à un moment de doutes, et devenue le temps d’une semaine partagée à Lamyèl, une amie.

Mes tous derniers visiteurs ont quant à eux conquis mon cœur depuis longtemps… Manon et Elie, qui viennent de passer ces dernières semaines avec moi, ont littéralement été conquis par l’île…Côté Dominicain, ils sont tombés pour ses habitant(e)s au cœur sur la main, drôles et sans complexes, pour ses soirées toutes simples où l’on danse la bachata ou le merengue en plein air en rigolant comme des baleines pour trois fois rien, une bouteille de « presidente » dans une main, un verre de « Ron Barcelo » dans l’autre, pour les douces journées en maillot de bain, doigts de pieds en éventail dans un cadre de ouf, sable blanc, cocotier, ciel azur… voire même pour ses combats de coqs, lesquels meurent pour des poignées de pesos sous les cris hystériques des hommes qui se rejouent les combats, ou encore pour ses dimanches de Carnaval où les hommes se fouettent à grands coup de corde pour… le plaisir ? Se prouver qu’ils sont des hommes ??

 

 

Côté Haïtien, ils étaient attendus comme le messie, et ont fait la connaissance de mes voisins, de mon équipe, des personnes avec qui je travaille, des gens du village, etc…. Ils m’ont suivie et aidée dans mes activités.

  

Grosse activité du moment : la construction d’une école. Ce tout premier chantier a débuté en janvier avec l’aplanissement du terrain par les parents, et demande au quotidien un sacré paquet d’énergie, pour eux comme pour nous.. Tout à notre crédo, «on ne fait pas pour les gens ni à leur place, mais avec eux », on passe parfois pour être un peu « raides » et les parents préfèreraient peut-être une de ces ONG qui débarquent avec un régiment de blancs qui fait tout et puis où il y a plein de packs de coca aux réunions où il suffit d’opiner du chef un p’tit coup de temps en temps… Mais nous, à notre histoire, on y croit fort ! On accompagne les gens, on les soutient, mais ce sont eux qui portent les projets. Alors, pour les encourager, les emmener, leur donner du cœur à l’ouvrage et leur rappeler sans relâche que l’on travaille ensemble, dans le but d’offrir un meilleur environnement scolaire aux deux cents élèves pour le moment agglutinés et mal assis sur des bancs de fortune posés sur un plancher pourri, travaillant dans un vacarme assourdissant dans la bicoque de bois que l’on voit plus bas sur les photos (video Ecole), j’ai nommé Marilouse animatrice du chantier !! Surnommée « l’ingénieuse » quand, les premières semaines, armée de son niveau, elle vérifiait le travail des parents et le plan du terrain, la voilà désormais «contremaitre» et il faut bien toute son autorité « naturelle »  et son énergie pour faire avancer le chantier. Un pic à la main, un seau d’eau sur la tête, elle est aussi la première à mettre la main à la pâte et la dernière à quitter le terrain, forçant en cela le respect de chacun.

 

La colline aplanie et les fondations creusées, fruit du travail bénévole des parents, nous avons commencé à contribuer financièrement en achetant le matériel, sable, graviers, roches, moellons, ferrailles, sacs de ciment, et en payant une équipe de trois « bos » maçons. La présence des parents est toujours primordiale, qui pour aller chercher l’eau de la rivière pour couler le béton, loin au fond du vallon, qui pour prêter main-forte aux bos, qui pour préparer le repas pour l’équipe du chantier avec les ingrédients fournis par la communauté.

Le bâtiment comportera quatre salles de classe, il est construit aux normes parasismiques que Gilles, notre « appui technique », a rapportées de son expérience avec une équipe de japonais il y a quelques années, et, grâce à l’apport de Laêtitia (oui oui la nôtre, Laëti du Ramina, de la Friterie) et de ses conseils précieux en matière d’insonorisation, que Gilles a traduit en cloisons intérieures faites de caissons en bois, les enfants (et les profs) devraient bénéficier de meilleures conditions d’apprentissage. Côté dominicain, on fabrique les pupitres qui leur permettront non seulement d’être bien assis, mais aussi de poser leur cahier sur une tablette, plus pratiques pour écrire que penché sur ses genoux..

Acheminer les matériaux jusqu’au chantier n’est pas chose facile. Ils sont achetés en République Dominicaine. Un premier camion, dominicain, les livre juste avant la frontière, au bout de la bande d’asphalte. Un deuxième camion, haïtien, les charge par petites quantités et les transporte sur les sept kilomètres de piste jusqu’au chantier à Lamyèl. Tout cela représente une grosse organisation, et un budget conséquent… J’utilise énormément l’application what’s app, que je ne connaissais pas il y a encore trois mois, et qui me sauve bien la vie, que ce soit pour garder le contact avec « l’autre bord » comme on dit ici, amis et famille de l’autre côté de l’océan, ou pour m’éviter des centaines de kilomètres et des journées perdues pour demander des devis ou commander les matériaux… L’autre grosse difficulté à laquelle nous sommes confrontés pour le chantier est l’absence de bois. Le ministère de l’environnement dominicain a depuis le premier janvier interdit toute coupe et il se dit que l’interdiction pourrait courir toute l’année… Dans la petite ville voisine de Restauration, dont les collines sont sur vingt kilomètres entièrement boisées d’essences variées, seules trois scieries travaillent sur vingt-deux. Dans la première, les prix sont exorbitants et il est impossible de marchander. Dans la seconde le bois est déjà promis. Dans la troisième, dénichée en suivant un camion de rondins, j’ai dégoté quelques planches de coffrage, bien trop chères et de mauvaise qualité, et au prix de beaucoup de patience, assise pendant des kilomètres sur le porte-bagage de la vieille pétrolette du propriétaire et supportant sans broncher ses propositions très directes… je ne sais pas encore où je vais trouver les centaines de « pieds carrés » nécessaires pour la charpente…

Récréation de l’école Cœurs Unis, une vieille voisine vend des beignets (de maggi !!) :

Pendant que Marylouse se consacre aux chantiers, le reste de l’équipe se démène aussi. Les conseillers pédagogiques visitent les écoles chaque jour pour prodiguer leurs conseils aux professeurs qu’ils observent, et les animateurs continuent de sillonner les campagnes pour faire de la sensibilisation, grâce au photolangage, sur l’importance de l’école –et notamment de choisir une « bonne » école pour favoriser la réussite de leurs enfants (ce qui est un peu leur garantie de « retraite »). Nous continuons également d’organiser des formations pour les professeurs, afin d’améliorer non seulement l’environnement des écoles (via les constructions) mais bien aussi les apprentissages. Pour permettre aux élèves de progresser, il faut d’abord permettre aux professeurs d’améliorer leurs connaissances. C’est l’équipe de professeurs des écoles nationales de la région de Hinche, ayant suivi un cursus en école normale et passionnés de pédagogie, qui nous aide dans cette mission. Mi mars (en photo), ils étaient sept pour aider cent vingt professeurs à se perfectionner sur les systèmes de mesure ou sur l’apprentissage de la lecture. La semaine prochaine une formation est organisée à destination des profs de préscolaire, et puis une autre en mi-avril permettra à tous d’améliorer leurs connaissances en mathématiques. Les sessions sont de plus en plus suivies, et les formateurs sont plébiscités, aidant chacun à progresser et offrant des formations vraiment pragmatiques et utiles pour les enseignants.

Je me suis moi-même tout récemment livrée à une bien étrange activité : j’ai participé « au mouvement » de l’éducation nationale, dans le but de réintégrer une classe l’an prochain, de janvier à juin. C’est là l’une des opportunités supplémentaires de nous-autres, chanceux enseignants : en plus de toutes nos vacances, on peut travailler la moitié de l’année (c’est-à-dire 5 mois) et percevoir la moitié de notre salaire toute l’année. J’ai envie de faire une pause de deux mois après ces quatre ans de mission à l’étranger, expérience passionnante mais un peu fatigante, et de passer quelques mois près de mes proches, ma famille bien sûr mais aussi les amis dont je sens que les liens se distendent au fur et à mesure que le temps passe. Avant de repartir pour un nouveau projet, si possible pour Inter Aide dont je partage à fond les valeurs, et si possible du côté de l’Asie, partie du monde que je ne connais toujours pas -et que je n’ai pas envie de découvrir comme touriste. Je préfère cette forme de voyage qui est la mienne, commencée alors que je n’avais pas vingt ans avec l’Italie et le Maroc : poser mes pénates assez longtemps pour baragouiner au moins un peu dans la langue des habitants, et comprendre, voire partager, le mode de vie. J’ai laissé tomber le projet cubain, parce qu’un troisième voyage m’a fait gratter un peu trop fort le vernis, et j’ai découvert le vrai visage de cette belle île : un triste théâtre pour touristes, où l’on ne danse et chante la salsa qu’à contrecœur, en grimaçant dans le dos du gringo. Les cubains n’aiment pas leur pays, et aujourd’hui je ne sais plus bien moi-même ce que j’ai pu lui trouver… J’ai l’impression que Ry Cooder s’est fait avoir et nous avec, mais je ne veux pas décourager quiconque d’aller voir ça de plus près. Simplement, un conseil, pour ne pas briser la magie : restez à votre place… de touristes ! En attendant, je rentre en France en mai pour quelques jours, retour annuel imposé par l’association pour faire un check de santé, un debriefing avec la direction, et j’en profiterai bien sûr pour passer quelques jours à Sinté.

visiteur du soir, espoir…. lol !!

 

2 réflexions sur “pitit mwen en Ayiti

  1. Je comprends ton silence avec autant d’activités et un chantier d’envergure….
    L’école construite sera je pense pr toi une marque de fabrique pr souligner ton action et j’espère qu’elle pourra se terminer malgré les problèmes d’approvisionnement.
    Très organisée, les jalons st plantés pr revenir te ressourcer, sais -tu ds quelle école tu vas être nommée ?
    Après ton enthousiasme sur Cuba, je partage ton changement point de vue.
    Au plaisir de te revoir, je t’embrasse,
    Annick

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