PLUMES D’ANE

Après le marathon des réunions de bilan et entre deux semaines de formation, afin de faire un peu le point et passer du bon temps, bien mérité, tous ensemble, l’équipe et moi-même nous sommes enfournés mi- juillet dans le wagon pour un voyage de quelques jours aux sources de la république haïtienne…

Direction le Cap Haïtien, au nord de l’île, pas très loin de la frontière dominicaine. A première vue, la ville, en tous cas dans sa partie basse longeant le port, ressemble fort à Santiago de Cuba, à ceci près qu’ici le gouvernement défaille en tout, laissant la ville à l’abandon de ses mauvaises routes, de ses maisons délabrées et de ses tas d’immondices.

Nous dormons dans un petit institut polytechnique à Vertières, à la sortie du Cap, dont deux salles de classes sont pour l’occasion transformées en dortoir. C’est tout près d’ici, à six kilomètres, que l’histoire a commencé. A « Bois Caïman », quelques mois après la révolution française de 17989, Bouckman le Jamaïcain rassembla par une nuit d’orage les esclaves de la Plaine du Nord pour leur parler de « quelque chose qui s’était passé en France. : Des messieurs très influents avaient déclaré qu’il fallait libérer les nègres, mais les riches propriétaires du Cap, tous fils de putes royalistes, refusaient d’obéir ». La région s’enflamma et l’on tua et viola à tour de bras. La rébellion pour l’égalité des droits entre noirs et blancs, esclaves et propriétaires, riches et pauvres fut sanglante, mais courte.

Bientôt, sur le parvis de la Cathédrale du Cap Haïtien, à l’endroit même où quelques années plus tôt on avait passé au bucher le nègre marron Mackandal, fomenteur de révolte, la tête de Bouckman « était la proie des vers, verdâtre et la bouche ouverte ». Par un de ces hasards que j’affectionne, j’ai jeté dans ma valise le livre d’Alejo Carpentier, « le royaume de ce monde », qui conte précisément l’histoire des lieux que nous foulons deux cents plus tard, et dont je tire ici quelques extraits. Au lendemain de la révolte, Ti Noël, esclave et figure majeure du bouquin, s’enfuit avec le maitre français pour Santiago de Cuba, où se retrouvent de nombreux colons exilés qui y fonderont un quartier français sur le modèle de celui du Cap. Après la mort de son maitre, dans la déchéance comme il se doit, Ti Noël retourne en Haïti, et fait à pied depuis Port au Prince le chemin que nous avons suivi jusqu’à la plaine du Nord. De retour chez lui, à Milot, il s’arrête, « émerveillé par le spectacle le plus inattendu, le plus imposant qu’il eut contemplé dans sa longue vie. Sur un fond de montagnes striées de violet par des gorges profondes, s’élevait un palais rose, un alcazar aux fenêtres arquées, rendu presque aérien par le socle élevé que lui faisait un perron de pierre ».

C’est le « palais sans souci », résidence du roi Henri Christophe, qui avant d’être monarque fut le cuisinier le plus fameux du Cap, à la table duquel se bousculaient les colons français et espagnols.

« Près d’un buste de Pauline Bonaparte, qui avait orné jadis sa maison du cap, les jeunes princesses Athénaïs et Améthyste jouaient au volant ». Ti Noël, désormais vieux et libre, se retrouve en un tournemain avec une pesante brique entre les mains qu’il lui faut, sous une volée de coups, grimper jusqu’au sommet du Bonnet-de-l’évèque, rude grimpette de sept kilomètres (que les moins courageux d’entre nous ont gravi en moto) jusqu’à cette « montagne sur la montagne »qu’est la citadelle « La Ferrière ».

« Dans cette masse de briques brûlées, tellement élevée au-dessus des nuages que les perspectives défiaient les habitudes du regard, étaient creusés des tunnels, des couloirs, des chemins secrets et des cheminées remplis d’épaisses ténèbres. (…) Au milieu de la place d’armes, on égorgeait tous les jours plusieurs taureaux afin de pétrir avec leur sang un mortier qui rendrait la forteresse invulnérable. (…) Des centaines d’hommes travaillaient dans les entrailles de cette immense construction, sans cesse épiés par le fouet ou le fusil. (…) Souvent un nègre disparaissait dans le vide, entrainant une auge pleine de mortier, immédiatement remplacé et oublié. (..) Sur tous les flancs de la montagne, par tous les sentiers et chemins de traverse montaient des files compactes de femmes, d’enfants, de vieillards. Ils portaient toujours la même brique pour la déposer au pied de la forteresse. Ti Noël apprit que cela durait depuis plus de douze ans et que toute la population de la plaine du nord avait été mobilisée par force afin de travailler à cette œuvre invraisemblable ».

Avant la fin des travaux, la malédiction s’abattit pourtant sur ce roi mal aimé. Celui-ci retrouva dans l’église de Limonade un esprit mal intentionné qui le foudroya, le laissant gisant sur le carreau, paralytique. Recouvrant au bout de quelques semaines un peu de ses moyens conscient de la grande faiblesse de sa position, le roi décida de se donner la mort, dans sa chambre, celle-ci même où nous écoutons son histoire, au cœur des ruines du palais lui-même foudroyé par le tremblement de terre des années 40. Les canons de la Ferrière n’auront finalement jamais servi. Et, de l’Esclavage aux travaux forcés, des enfants-esclaves et de la vie misérable à la dépendance à l’aide internationale… jamais le pays n’aura au final vraiment réglé son compte au joug et laissé tomber ses chaines. Pauvre Haïti chérie.

L’équipe voulait voir la mer, elle voulait aller à Labadie. Après quelques recherches sur internet, j’ai découvert que cette belle côte d’Haïti, perle des Caraïbes, est propriété exclusive d’un croisiériste américain, et qu’à l’exception des quelques deux cents jeunes et beaux haïtiens qui y travaillent, le lieu est interdit aux autochtones !!- De même d’ailleurs qu’il est interdit aux touristes de s’aventurer à l’extérieur de la baie, des fois qu’il resterait quelques velléités de cannibalisme chez les sauvages de l’autre côté… sic ! Par conséquent, j’ai fait tirer tout droit à l’opposé, et sur la belle plage sauvage de camp Louise, blindée de NOIRS avec un seul poisson rose au milieu, les trois quarts de l’équipe ont plongé pour la première fois de leur existence leur tête ravie dans l’écume folle de la grande étendue bleue…

Ce petit voyage a donc été l’occasion de se cultiver, beaucoup, de se chipoter, un peu (les haïtiens sont quand même bien souvent des têtes fortes avec une sacrée bonne dose d’orgueil, et ça se frite dur sur les petits détails du quotidien), et de travailler, pas mal, sur le projet. Les « anciens », qui sont là depuis le début de l’aventure d’Interaide à Lamyel, sont très investis, et se différencient des « nouveaux » qui ont rejoint l’équipe cette année en cela que ces derniers ont un peu plus tendance à entrevoir leur mission comme un « job » -mal payé de surcroît. Les nombreux échanges et ateliers nous ont permis de dresser un bilan « empirique » des deux années de présence du programme dans la zone, de souder l’équipe autour du projet et de sa philosophie, et de travailler sur les perspectives de l’année à venir. Je n’ai pas encore annoncé à l’équipe mon départ prévu pour octobre. Mon assistant est au courant, et c’est sur son conseil que je n’ai informé ni l’équipe ni les écoles, afin de ne pas provoquer de stress ou de désengagement. Les activités seront d’abord lancées normalement en septembre, et dès lors que j’aurai un calendrier précis de départ, j’avertirai l’équipe et les partenaires.

La première construction s’est achevée la semaine dernière et le bâtiment a été officiellement remis au directeur. Je suis contente d’être arrivée au bout de ce premier chantier, qui a été une somme, voire un produit une division une soustraction, de toutes les difficultés possibles. L’essentiel est que le 4 septembre prochain, les quelques deux cents élèves de l’école Cœurs Unis de Lamyèl quitteront leur bout de cabane pourri pour un bâtiment tout neuf. Je ne lancerai pas d’autres constructions, mais ça devrait rouler beaucoup mieux pour la suite, maintenant qu’on a essuyé pas mal de plâtres et levé pas mal de voiles, notamment celui du mythe de l’école communautaire, quand en réalité la quasi-totalité des écoles relève de l’entreprise privée…

 

En octobre donc, je quitterai Lamyèl et Interaide après deux ans et demi de mission. J’avais initialement prévu de rentrer en France en janvier 2018 pour faire un peu l’instit, l’inspection académique m’ayant même trouvé un poste dans une classe de petite section de maternelle. Mais voilà dix ans que je n’ai pas mis les pieds dans une école en tant qu’enseignante et la perspective de moucher des nez de 8h20 à 11h40 et de remettre le couvert l’après-midi m’a soudain paru d’un ennui total. Bon Ok, c’est pas la vraie raison, j’adore les marmots même si je déteste les horaires fixes, les parents chiants et les lourdeurs administratives. Je dirais bien aussi que c’est la faute de Manon et Elie, ma cigale et ma fourmi, que je pensais retrouver à Sinté, et qui en l’espace de deux mois ont quitté la ville pour aller s’installer dans la bourgeoise d’à côté… Mais là encore, ce serait mentir… Je ne vais pas rentrer en France comme initialement prévu parce que… ici, à Restauraciòn, j’ai trouvé mon bonheur. Dans une maison jaune du quartier bleu du village, il y a un jardin avec des bananiers, des manguiers, des avocatiers et des petits plants de morenga.. il y a une nouvelle Koolna avec qui faire des promenades dans les rivières, au cœur d’une nature exubérante et généreuse…

 

..

…et puis il y a l’autre moitié de mon âme. Il y a Alex.

Notez que j’ai la ferme intention que pendant un bon moment, au creux de mon existence, il ne se traite rien de plus sérieux que de plumes d’âne…

2 réflexions sur “PLUMES D’ANE

  1. comme le but de la vie est d’être heureux. continu éclaté toi et je pense que de reprendre une vie pépère de sera compliqué alors profite bien de ton paradis. kisses eric

  2. Coucou ma belle,
    Recevras-tu ce mail ?
    Je t’espère en forme et heureuse.
    Plein de bisous parisiens ensoleillés
    Laurence 0650277511

    Laurence JONARD, PharmD, PhD
    Hôpital Universitaire Necker-Enfants Malades
    Laboratoire de génétique moléculaire
    Bâtiment Lavoisier 3ème étage (Porte L1)
    149 rue de Sèvres – 75743 Paris Cedex 15
    FRANCE

    Laurence JONARD: 33 (0)1 71 39 69 18
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