Les riches au ciel, les pauvres par terre…

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Combien sommes-nous sur cette terre à détenir le privilège de créer nos propres vies. De marcher sur les chemins rêvés, projetés, fantasmés. Si je me retourne et regarde la seule année 2018, je me suis tour à tour rêvée apicultrice en république dominicaine, woofeuse au Mexique, missionnaire à Madagascar. Chacun de ces désirs s’est réalisé. Ce n’est pas que je rêve plus que la moyenne, non… Quoique… victime bien consentante de mon signe maya « terre rouge planétaire », j’ai c’est vrai les jambes qui fourmillent et une antenne bien personnelle qui de « hasards » en surprises, joue à me faire courir d’un coin à l’autre du monde. La véritable raison est que je détiens le trésor qui me permet de suivre mes pieds et mes envies : un bout de carton à la peau rouge, sur lequel figure mon nom, bien prononçable malgré des z et des y, ma figure avec mes « bons cheveux », naturellement lisses, ma peau blanche, plus blanche qu’omo, plus blanche qu’homo negritus en tous cas, qui lui, même s’il possède le même bout de carton, pour peu qu’il ait la peau verte ou bleue, n’aura pas le même sésame pour la Terre et les cieux. Le carton rouge qui ne mentionne même pas mes fesses plates, m’emmène où je veux quand je veux, répondant  à mes désirs au doigt et à l’œil –ce qui n’est là qu’une formule, mes rêves étant tout de même limités par le nombre de chiffres en sus ou en dessous du zéro de mon paquet d’euros.

Alex, lui, n’avait qu’un rêve en 2018. Le même qu’en 2019. Il voulait rejoindre sa dulcinée de l’autre côté de la terre. Mes petits, asseyez-vous bien, je vais vous conter son histoire…

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Dans les premiers jours de décembre, Alex boucla ses bagages et quitta son bout de terre à la frontière dominico-haïtienne. Au grand aéroport de la capitale, le quinze, à presque minuit, il fit mine de monter dans l’avion de la compagnie espagnole. Le billet qu’il tenait à la main assurait que celle-ci le conduirait jusqu’au vieux continent, d’où il s’envolerait par l’Ethiopie avant le grand saut par-delà l’Equateur, jusqu’à Antananarivo.  Alex avait à la main son bout de carton à peau bleue. Mais voilà. Alex avait aussi sa tête d’haïtien, la même qui l’oblige à exhiber la preuve de sa dominicanité à chaque rond-point militaire, et qui repoussait quand il était plus jeune les filles à peau laiteuse et plate tignasse.  En cette nuit électrisée, où la peur se mêlait à l’excitation, il se trouve malheureusement que cette magnifique tête noire n’eut pas l’heur de plaire aux sbires de la compagnie espagnole. Sortant de leur chapeau un règlement interne exigeant un VISA pour l’Espagne, qu’elle même pourtant ne requérait pourtant pas, ils lui interdirent l’accès au grand coucou blanc. Une humiliation cuisante, deux billets perdus, 3/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux,  0 pour les amants séparés.

Une semaine plus tard, ayant repris courage, Alex quitta à nouveau son coin de montagne pour déposer à la capitale sa demande de visa pour l’Espagne -laquelle, donc, ne l’exigeait pourtant pas, et ne disposait pas vraiment de document adéquat. Alex se plia alors à la complexe procédure de demande de visa schengen, un visa de tourisme d’une durée de six mois qui ne lui serait utile que le temps de patienter entre deux avions. Les règlements n’ayant jamais été inventés par des gens intelligents pour des gens intelligents, mais régissant pourtant la vie des braves gens, le dossier fut patiemment construit et docilement déposé, accompagné d’un billet de 120 euros, entre les mains pincées de petits fonctionnaires prisonniers de vieux murs construits par un Colomb qui, déjà, transforma le paradis en enfer il y a cinq cents ans.

Dans la tête d’Alex, les rêves refleurirent, timidement. Un mois passa, tout en attente et coupures de Skype. C’est alors que les petits fonctionnaires tranchèrent. Les documents produits ne leur paraissaient pas valables (fournis pourtant par ma très respectable ONG) et le petit salaire de professeur du ministère des sports ne les engageaient pas à penser à un retour sur l’île à l’expiration du visa, dirent-ils. Ainsi les petits fonctionnaires s’imaginaient-ils que leur vieille Europe avait de quoi faire rêver les Antilles ! Quelle misère ! Il est l’heure ici d’abandonner le mode de ce passé pas du tout simple, et de retomber sur le sol dur du présent… Ce que peut-être, quelques-uns appellent de leurs voeux, Alex ne le partage pas, n’en déplaise aux statistiques. Lui ne rêve pas d’Europe mais seulement de rejoindre sa moitié, et  de voyager à ses côtés. Les petits fonctionnaires ont dit non. Humiliation encore, argent perdu encore, rêve piétiné. 6/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux,  0 pour les amants séparés.

Quitter les Antilles pour rejoindre la Grande île impose un passage par le monde du tourisme de masse, l’Europe ou les USA. Aux Etats-Unis, les dominicains sont considérés parmi les pires des latinos par les autorités, refus assuré. En Europe, la loi stipule que pour transiter par un de ses aéroports, un dominicain doit détenir un visa s’il passe par la France ou la Belgique. Au vu du zèle des compagnies d’aviation, au vu du flou des lois (« si le dominicain ne passe pas plus de huit heures dans l’aéroport et s’il ne passe pas d’un terminal à l’autre, il n’a pas besoin de visa, si, si, si ») des autres pays, nous avons alors imaginé qu’Alex passe par la France, qui elle au moins, la joue franc-jeu  et dispose de tout l’arsenal paperassier. C’est là que nous fut porté le coup fatal. Voyez à quel point, quand il vous met dans ses rouages, le jeu mesquin des règlementations peut vous les briser menues avant de vous briser tout court : Pour demander un visa de transit aéroportuaire à la France, il faut produire entre autre et de manière obligatoire le visa du pays de la destination finale, Madagascar en l’occurrence. Or, Madagascar ne délivre, pour les pays qui ne possèdent pas de représentation consulaire comme c’est le cas de la République dominicaine, son visa qu’à l’arrivée à l’aéroport. Un rouage qui se mord la queue, un rêve ébréché, deux amants toujours séparés. 9/0 pour le monde des puissants qui régissent la terre et les cieux.

Encore un point et au jeu des rêves brisés, Alex aura définitivement perdu la partie. Ce dernier point se joue dans l’hémisphère sud. Brésil, Afrique du Sud, accepterez-vous de laisser quelques heures poser sur le vénéré sol de vos aéroports un grand noir aux rêves purs ? Saurez-vous vous remémorer ces temps pas si anciens, Alexandra David-Néel n’avait pas dix-sept ans, où l’on n’avait pas encore créé ces lignes imaginaires aujourd’hui millions de fois criminelles en termes de vies et de rêves brisés, et où le ciel était encore l’apanage des rêves ? Vas-y, Nounours, si tu m’entends, déboule avec  ton nuage blanc !! Balance du sable dans leurs sales rouages technocratiques, laisse grimper à ton bord les rêveurs du monde entier, les riches, les pauvres, les noirs, les blancs, et même ceux qui ont des cheveux rotolos, et faisez des pluies de confettis avec leurs bouts de cartons multicolores, leurs zyvas et passe-porcs !!! YA BASTA !!!

 

 

2 réflexions sur “Les riches au ciel, les pauvres par terre…

  1. Bien triste histoire… magnifique texte… merci pour ce partage Laurence, et on y croit on va tous y penser très fort positivement pour que l’issue soit heureuse 😇💕

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